25 de abril de 2010

Le Journal du Congrès N° 12

Le Journal du Congrès
Association Mondiale de Psychanalyse
26, 27, 28, 29 et 30 avril 2010
Palais des Congrès, Paris

Editorial n°12

Les deux côtés de l’Atlantique


Même la Norvège et l’Allemagne ouvrent leur espace aérien. C’est dire. Les congressistes rejoignent Paris. Nous en avons de multiples témoignages. C’est souvent dans l’inconfort, pour les premiers en mélangeant route, train et avion, puis pour les autres en suivant avec retard des voies aériennes plus directes. L’épisode se referme. Les deux rives de l’Atlantique se rejoignent. Les symptômes demeurent. Mais lesquels ?

Au moins deux conceptions s’opposent pour apprécier les rapports du sujet et des impasses de la civilisation, son désordre symbolique fondamental. L’une est qu’à mesure que le lien social s’affaiblit, l’individu est accablé par des responsabilités et des épreuves inédites qui l’épuisent. Sous la rubrique de pathologies du lien social, on met les addictions, les troubles du comportement, le stress et la souffrance au travail, mais aussi celle des femmes et des exclus. La dépression, l’anxiété, le traumatisme ou la fatigue psychique se présentent comme l’envers même de toute description du lien social, nouvelles Erynnies, elles l’accompagnent comme une ombre.

On peut aussi considérer que ce n’est qu’un question de langage et non d’envers. Le langage de la souffrance psychique, l’idée que la société peut faire souffrir serait une idée à prendre avec des pincettes. Nous nous trouverions devant un phénomène comme ces plaintes sur l’insécurité. Il faudrait séparer l’insécurité du sentiment d’insécurité, et de doctes experts viendraient se succéder pour nous enseigner qu’il n’y a aucune raison de ne pas se sentir en sécurité dans le giron de l’Autre contemporain.

D’où vient le désordre ressenti? Vient-il de l’impossible des idéaux ou d’une manifestation de l’individualisme qui se retrouve contre lui-même ? En lieu et place des interdits, les troubles contemporains seraient avant tout ceux des « séductions morbides des idéaux » qui le contraignent à devenir lui-même. Un sociologue veut résoudre la question par une expérience mentale. En opposant deux « sociétés » ou civilisations, l’Amérique et l’Europe, ancrées dans des discours constitutifs et des mythologies opposées. L’opposition se lit de façon récurrente dans tous les grands débats sur l’invention du lien social contemporain, mais plus récemment sur la réinvention du système de santé américain. Pour les Européens, ce serait le délitement du lien, de la solidarité, des idéaux, qui fait porter sur l’individu le poids de l’assertion personnelle. Pour les Américains, le seul idéal dont la civilisation aurait besoin est le self et son double, le self-governement, couple solidaire de l’autonomie et de la communauté qui se gouverne elle-même. En un sens, le sujet « américain », tout entier anticipant sur le futur serait celui qui serait vraiment délivré des idéaux pour produire une identification commune, propre à la culture populaire, le mainstream commun à tous. L’encombrement des idéaux en Europe aurait deux conséquences : la nostalgie du temps où ils existaient, la production d’une posture « anti-moderne » d’une part, et d’autre part la souffrance que leur impuissance entraîne. La réduction des idéaux au trognon du self aurait l’avantage de produire un sujet vraiment en phase avec la modernité, au-delà de toute nostalgie. L’Amérique, avenir de l’Europe et avenir de tous.

L’état de la politique américaine est là pour nous rappeler que l’impossible se rencontre des deux côtés de l’Atlantique. L’occident est solidaire au-delà de ses mythes. La vie politique US est suffisamment bloquée à tous les niveaux, depuis la chambre des représentants jusqu’au Sénat, en passant la rue, pour que l’on ait le sentiment que quelque chose du self ne se gouverne plus. L’accablement sous les menaces de mort du Président, du chef de la majorité, Nancy Pelosi, et de multiples représentants est inquiétant. Bill Clinton, dans sa position réinventée de Président d’ONG, sage médiateur, appelle à se méfier de la haine. Les partisans des Tea-Party manifestent rageusement pendant ce temps. Quelque chose paraît bloqué dans l’optimisme américain du changement.

Est-ce durable, est-ce un coup de feu passager, une éruption qui s’éloignera comme le nuage semble le faire ? Nous l’espérons pour le bien des démocraties, mais qui sait ? La pulsion de mort a des malices que l’ordre symbolique met parfois beaucoup de temps à réduire. Au-delà des sociomanes qui veulent tout réduire à des formes de langages collectif, la perspective d’inspiration psychanalytique qui met en avant le poids des idéaux du sujet est trop courte. Dans cet usage, le terme d’idéal est trop ambigu. Il faut encore distinguer le plan imaginaire du moi-idéal et le plan symbolique où se détermine l’impasse. Lacan aussi, dans les années cinquante, parlait de la « grande névrose narcissique » de l’époque. Il a ensuite élaboré les différentes dimensions Réel, Symbolique, Imaginaire et leurs délicats nouage. La séduction des idéaux imaginaires est à la mesure de l’impossibilité ou de l’impuissance de traiter le réel par ses idéaux. Les dispositifs symboliques ne cessent pas moins d’exister et leurs réinventions sont possibles. Comment ? Par les petits coups de pouce ou bourrades (Nudge) prônés par le comportementalisme économique ? Que ce soit pour la régulation du ciel unique Européen ou la régulation des banques après la révélation des manœuvres incroyables de Goldman-Sachs, la « Firme », il semble plutôt que cela procède par rencontre d’un impossible. C’est la « stratégie du choc », non pas celle d’un complot, mais celle du choc du réel. Par là il y a chance de produire un ordre symbolique renouvelé. Une assertion de certitude anticipée (Yes we can !) qui ne soit pas un rêve aux réveils difficiles.


A demain,
Eric Laurent, le 21 avril 2010. 18 heures.




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