10 de novembro de 2009

[ecf-messager] Journal des Journées n°54


« Jour J ! »

www.causefreudienne.org

JOURNAL DES JOURNÉES

N° 54

le samedi 7 novembre 2009, édition de 7h 59


L’EVENEMENT

par Esthela Solano-Suarez


« L’esprit de la conversation

consiste bien moins à en montrer beaucoup

qu’à en faire trouver aux autres…. »

Jean de La Bruyère, Les Caractères


Nous assistons à un de ces moments fastes, prodigieux, dans la vie de notre Ecole. Nul ne doute qu’il s’agit d’un événement. Voulant faire des prochaines Journées un événement, Jacques Alain Miller a produit déjà l’événement, déchaînant les foudres du désir, convoquant chacun et chacune à s’exprimer, libérant la parlure de son bâillon d’inhibition, faisant émerger ici et là une myriade de talents, animant une conversation et ouvrant un débat qui nous concerne tous, parce qu’il y va de l’avenir de la psychanalyse.

Dans notre petite planète analytique, rien ne sera plus comme avant, après l’événement. C’est ça l’événement, une coupure, que de son tranchant délimite un avant et un après tout en transformant la surface qu’elle découpe. Mais cette coupure, il fallait la produire. Et sa production relève de l’acte.

L’invention a consisté à déclarer que tous, sans exception, pouvaient parler, ou étaient invités à parler, depuis leur place d’analysant. À cet appel, chacun et chacune a répondu mettant à l’œuvre ses qualités les plus exceptionnelles, mettant à plein jour son talent. On a vu alors monter au zénith de l’Ecole une Voie Lactée d’exceptions.

L’événement nous permet d’apprécier qu’il ne s’agit point de faire appel au savoir et aux compétences des analystes, mais de convoquer les analysants analysés, ou les analysants en analyse, à dire leur parcours, à mettre à ciel ouvert le plus singulier d’une expérience, afin de tirer, dans l’après-coup, un enseignement qui vaut comme effet de formation prenant la valeur d’un bien commun. C’est ainsi que l’Ecole peut contribuer à dissiper « l’ombre épaisse » qui recouvre le passage de l’analysant à l’analyste.

L’événement permettra de cerner « le réel en jeu dans la formation même du psychanalyste ». Force est de constater que la partie nous ne la jouons pas avec l’universel, parce que L’analyste, comme La femme, n’existe pas. La partie se joue au Un par Un, là où est possible de se dire, de Bien dire, comment un parlêtre est venu à savoir son indépassable ratage face au réel, dont le sinthome est la réponse singulière. Il saura alors, qu’il n’aura rien d’autre à mettre sous la dent pour réussir à tenir convenablement la place d’analyste.


L’événement fait Programme, où chacun trouve sa place. Programme dédoublé, comportant deux moments qui font partie du même événement : Paris et Rennes. Je n’y vois pas une hiérarchie. Qu’ils soient pragmatiquement distincts dans le temps et le lieu, cela ne comporte pas forcément un ordre, une ordination. Ces deux moments relèvent de la puissance cardinale. En ce qui concerne Paris, l’ordre de nos habitudes a été fondamentalement bouleversé. Foin de distinction ni de prérogative, ni de place privilégiée accordée à la hiérarchie et au gradus. Ils seront tous, les uns avec les autres, les uns à côté des autres : les analysés -au moins pour un certain temps- et les analysants, les membres de l’Ecole et les non- membres, les A.E. nommés et les A.E. à venir, rangés selon l’ordre distinctif d’une énonciation.

Il sera dès lors vérifié que, l’analyste n’étant pas une entité en soi, ayant la consistance et la permanence d’une identification, il ne peut que se déduire des conséquences de l’acte analytique, dans l’après-coup, effet du temps qui lui est radical. Dans ce sens, l’expérience analytique a la valeur du Jugement Dernier, puisque c’est à cet endroit seulement, dans le discours qui fait lien analytique, que l’ex-sistence du psychanalyste s’en déduit. En conséquence, se croire analyste, croire être un analyste, ou s’y croire, comporte la méconnaissance du réel en jeu, voire sa négation systématique. On y croit par contre, au symptôme. On croit qu’il dit quelque chose, et à cet égard, chacun pourra témoigner du point où il en est, dans le travail d’élucidation de sa jouissance opaque, celle qui exclue le sens. Une communauté ainsi rassemblée, à partir de ce qui se produit dans l’analyse comme différence absolue, s’inscrit à l’opposé d’une communauté d’idolâtres groupés au tour d’une hiérarchie totémique.


Vulgaire Illustre et fol penser

« Quid illuminans et illuminatum prefulgens »

Dante, De vulgari eloquentia


« Ce qui donne lumière et qui, illuminé, resplendit » caractérise, d’après Dante, la langue poétique. Il prend la défense du Vulgaire Illustre, langue poétique, se dressant contre le latin des doctes, langue de l’auctoritas, langue du Père et des Pères de l’Eglise, détentrice du savoir. La langue vulgaire, n’étant pas comme le latin, soumise à la régulation grammaticale et rhétorique, était méprisée par les Docteurs, et considérée comme inapte à transmettre le savoir canonique, stabilisé dans le dogme par l’auctoritas de la tradition.

Nous pouvons reconnaître dans le Vulgaire Illustre de Dante, ce que Lacan appelle la lalangue. En revanche, le latin, langue de l’auctoritas dogmatique, comporte « une élucubration de savoir sur la lalangue », à titre de langage. Dante l’exprime très clairement : « En plus bref, j’affirme, dit-il, que la langue vulgaire est celle qui s’apprend sans aucune règle, en imitant la nourrice. De cette langue, en dérive une secondaire, que les Romains appelaient grammaticale. » ( DVE-I, I,2-3)

A partir de cette distinction, Dante différencie d’une part , le registre de l’auctor , qui est celui qui manie la langue du pouvoir, le latin, exerçant son auctorité de doctor,dans la transcription et le commentaire de la parole divine , et d’autre part le poète, qui, lui dans sa pratique de la langue vulgaire n’est pas auctor, mais autor. Autor provient du verbe avieo, qui signifie « lier ». Le poète, en tant que autor, est un lieur de paroles. Dans ce sens il n’est pas celui qui crée, mais celui qui trouve (troubadour) le lien entre les mots, pour exprimer son fol penser. Le poète est un artiste, et son art relève d’un savoir y faire avec la langue maternelle .

Suivant cette distinction introduite par Dante, nous pouvons dire que l’événement des Journées, convoque non pas les auctors, mais les autors, non pas les doctes, mais les poètes. Ils sauront dire les trouvailles de la lalangue, là où ses résonances impactent et criblent le corps, faisant traumatisme et produisant les effets dont chacun provient comme parlêtre , n’ayant d’autre support face au réel que l’artifice du symptôme. C’est alors que chaque analyse, conduite jusqu’à son terme, démontre que la tragédie du symptôme relève de la comédie, de la Divine Comédie des semblants face au réel.

L’autorité, dans l’Ecole de Lacan, n’est pas accordée au détenteur d’une langue consacrée, d’un savoir mort et dogmatique. L’autorité pour Lacan résulte du contrôle, « le contrôle des capacités » qui, n’étant pas ineffable, constitue l’épreuve, d’après lui, où « l’autorité se fait reconnaître ». Les Journées de l’Ecole auxquelles nous assisterons, auront la valeur d’une mise à l’épreuve des effets de formation, aussi bien que du contrôle de la formation qu’elle dispense, contrôle, cette fois-ci, ouvert à un grand public.

Texte reçu le 3/11 à 15h 49


(A suivre dans le document attaché, avec l’étiquette <>)




2010

7 février : Forum des psys, contre l’évaluation

x avril : Congrès de l’AMP (members only)

10 et 11 juillet : Journées de l’Ecole à Rennes

9 et 10 octobre : Journées de l’Ecole à Paris

2010


CHAMP FREUDIEN

collection dirigée par Jacques-Alain et Judith Miller

aux éditions du Seuil


Jean-Claude Maleval


L’Autiste et sa voix


Bien que l’on se soit longtemps représenté l’enfant autiste comme un être muet se bouchant les oreilles, les cliniciens ont constaté que la voix constitue un objet pulsionnel auquel il porte une attention particulière : beaucoup d’autistes s’interrogent sur le mystère de la parole en plaçant la main sur la gorge de leur interlocuteur, certains cherchent à faire parler des objets à leur place, la plupart témoignent d’un intérêt marqué pour la musique et les chansons. S’ils tiennent leur voix en réserve, soit par le mutisme, soit par l’effacement de l’énonciation, c’est en raison de la crainte d’avoir le sentiment d’être vides s’ils la faisaient servir à l’appel. Cette non-cession de la jouissance vocale a pour conséquence des manières spécifiques de composer avec le langage, allant d’une langue de signes désaffectivée, mai propre à l’échange, à des langues privées servant peu à la communication. Quelques remarquables témoignages d’autistes de haut niveau permettent maintenant de mieux s’orienter dans la clinique classique de l’autisme telle qu’elle fut dégagée par Kanner. Leurs expériences attestent que les méthodes qui les aident le mieux sont celles qui ne sacrifient pas l’individualité et la liberté du sujet, mais savent prendre appui sur ses inventions et ses îlots de compétence. Octobre 2009, 342 p., 23

Jean-Claude Maleval est psychanalyste, membre de l’École de la Cause freudienne, membre de l’Association mondiale de psychanalyse et professeur de psychologie clinique à l’université de Rennes-II. Il a notamment publié La Forclusion du Nom-du-Père (Seuil, 2000), Logique du délire (Masson, 1996), Folies hystériques et psychoses dissociatives (Payot, 1981).

À p a r a î t r e


Sonia Chiriaco, Le Désir foudroyé

Philippe De Georges, Mères douloureuses

Philippe Hellebois, Histoires salées

Jacques-Alain Miller, Fréquence Freud

Jean-Claude Maleval, Etonnantes mystifications

Etc.


Jacques Lacan

XIV La Logique du fantasme

XV L’Acte psychanalytique

XIX - ou pire

XXI Les Non-dupes errent

XXII RSI

XXIV L’Insu que sait de l’une-bévue, s’aile à mourre

XXV- Le Moment de conclure



FULGUR

par Roger Wartel


Rencontrer la psychanalyse ? 1962 n'est pas 2009. Et pourtant, y aurait-il des points articulaires qui lient ces dates ?

1962, rebuté par la chirurgie, voici que la neurologie s'impose à moi. Elle était à cette époque très peu instrumentale. On la disait "pure" et elle donnait des satisfactions parfois exaltantes dans ce rapport secret que l'on levait entre une manifestation et sa révélation anatomique. Mais ça restait un peu sec.

Vint la psychiatrie, d'obligation pour prétendre au summum de la neurologie. J'ai aimé cette discipline aussitôt qu'elle eût rencontré l'attrait entretenu par la fréquentation de Maupassant, de Barbey d'Aurevilly, de Nerval, et puis de Bernanos. Bien d'autres encore. Or la psychiatrie de cette époque faisait apparaître de véritables romans et je n'hésite pas à dire que les "personnages" qui se présentaient, l'on pouvait les aimer. Aimer est un mot crucial.

Sans doute est-ce là un ressort car, de la même façon qu'il y avait des rapports saisissables en neurologie il devait bien y avoir des rapports saisissables entre les propos des personnes que nous rencontrions et une construction camouflée. Des convergences, des articulations, au-delà de l'anecdote. Il n'était plus question de la collection de similitudes, efforts de la neurologie, mais de l' émergence d'autant d'originalités.

"Détruire généralement toutes mes anciennes opinions" (Première Méditation), tandis que j'étais traversé de longtemps et de façon répétitive d'une autre formule empruntée aux Méditations : "il y a plus de différences d'un homme à un autre homme que de l'homme à l'animal".

Il faut insister sur l'impact qu'a pu avoir l'article des Temps modernes où Roman Jakobson effaçait toute une tradition d'anatomie pour imposer une nouvelle lecture des aphasies. Nous commencions à parler de structure.

Curieusement l'enthousiasme déclenché par Jakobson se répercutait à l'infini dans la psychiatrie telle que je la vivais, avec l'idée qu'il devait bien y avoir une organisation d'un même ordre dans un fatras clinique apparent. La chance a voulu que je fréquente alors des gens éminents qui m'ont dit "faut lire Freud".

Les entretiens cliniques prenaient dés lors une autre tournure car il n'était pas question , évidemment, d'aimer chacun comme un apôtre, mais de déceler, sans jamais y atteindre, ce point particulier, organisateur, qui justifiait beaucoup plus que l'attention. S'il y avait chez tel et tel une sorte de convergence, de noeud, de zone étrangement obscure, je percevais bien que ce nodus, je devais moi aussi en avoir un dans ma poche. Il se manifestait déjà, et par le renoncement à la neurologie classique, et par les repérages dans les cas cliniques. J'entrai en analyse avec un certain élan qui bientôt deviendrait l'aiguillon d'un combat. Car je n'ai jamais fait de la psychanalyse, encore moins maintenant que jamais, autre chose qu'une conviction, un combat, une volonté de transmission, de conversion, une intransigeance qui n'a pas était sans me retomber sur le nez, taxé de déraison.

En vérité l'analyse ne m'a pas apuré de telles exigences, transmission, conversion. Comme si à les tamiser, à la manière d'un orpailleur, se débourbaient des fragments irréductibles. Le combat, qui fut de façon désordonnée une passion, une ferveur, une ardeur, prenait tout à coup une force orientée. Le hasard heureux voulait que dans ma province se fût l'Ecole freudienne de Paris, "la freudienne" comme on disait, qui s'imposa. Et qu'émergea bien sûr le nom de Lacan, avec les Cahiers pour l'analyse et la revue La psychanalyse. Restait à rencontrer Lacan, au-delà de la rue d'Ulm et de la fac de Droit.

Curieusement je n'ai osé franchir sa porte qu'en 1976. Une pusillanimité. Un boulet, la crainte imbécile de ne pas être à la hauteur m'avait retenu.

XXI° siècle, les temps ont-ils changé lorsqu'il s'agit de devenir analyste ? Soyons clair, tout a changé : à l'Université avec la virulence exacerbée des adversaires, dans la société avec un appel amplifié au recours, en politique encore.

Or , tout ceci n'est que ronron depuis 1900.

Mais alors, pour ce qui me concerne, rien n'a changé sur le versant de l'engagement de chacun qui y vient sous l'effet d'une rencontre et d'un fulgur. Un imperium pour que s'entretiennent progrès et élaboration de la psychanalyse.


LIEN SOCIAL Á L’ÉCOLE

par Marie-Hélène Brousse


Je suis allée voir le dernier film d’Haneke, « Le ruban blanc ». Je ne suis pas une fan de cet auteur, mais cette fois, c’est une réussite : esthétique à la C. Dreyer et thèse puissante. Pas celle qu’il met en avant : expliquer socio historiquement et surtout psychologiquement le nazisme. De ce côté-là, c’est approximatif et confus, voire allusif. Non, la thèse réelle du film est la suivante : le lien social est fondé sur la haine, c’est le ciment qui fait tenir la famille, le village, la province, le pays et sans doute la planète : haine des pères pour les fils, des fils pour les parents, des hommes pour les femmes, des prêtres pour leurs ouailles, des maîtres pour les serviteurs etc.… La haine est là l’habit de la jouissance. Personne n’y échappe, sauf peut-être les débiles. Et tout cela dans le respect des semblants. Haneke en fait lui-même la démonstration dans la haine pour ses personnages, jusqu’aux nourrissons.

Pourquoi évoquer cette thèse de Haneke, historiquement tout à fait convaincante par ailleurs ?

A cause des Journées bien sûr, du Journal des Journées pour être plus précis. Il s’y fait la démonstration au fil des numéros qu’un autre fondement au lien est possible. Dans l’Ecole, dans « ce lien social de plein droit, avec ses signifiants propres, valides parmi les analystes »1, lorsque le discours analytique est résolument choisi, il existe un autre fondement au lien que l’amour du père et la haine des fils: le désir. C’est vrai, cela renvoie à la première topique ; c’est vrai, c’est autant le Lacan classique que le dernier Lacan. Mais cela donne un autre allant à l’affaire. Nathalie Jaudel se demandait, nous demandait si elle avait été la seule à ressentir pendant ces dernières années la momification de l’Ecole, le terme est de moi. Non elle n’était pas la seule à ressentir cette pétrification, ce vide d’idées, de projets. Chacun a répondu comme il a pu à ce sommeil, autrement dit chacun a répondu avec son symptôme. C’est mieux que rien, me direz-vous, et personne n’a déserté, prêt à accueillir le vent Paraclet.

Haneke le montre bien : l’anonymat sied à la haine, les crimes s’accompagnent toujours de quelque dissimulation. Le désir, lui, n’est jamais anonyme, il porte toujours un nom, un nom propre, c’est ainsi qu’il est contagieux. Le JJ écrit jour après jour un nom du désir de JAM et c’est à ce titre qu’il a réveillé, non seulement l’Ecole et ses alentours, générations confondues, mais toute l’AMP.

Jean-Daniel Matet nomme les membres de son directoire et son orientation. Nommer ce n’est certes pas tout dire, chose heureusement impossible, mais c’est la seule manière de surmonter l’incompatibilité du désir avec la parole.

Ce n’est pas pour autant une bleuette, une baguette magique de conte de fées. Même Harry Potter le sait. Le désir dérange : de celui de Freud, Lacan a pu dire qu’il grondait, qu’il interrogeait, qu’il le menait contre son gré même. Face à ce « fleuve de feu », ça grince, ça grogne, ça flemmasse, ça attend… Mais à la fin de l’envoi, ça touche. Quoi ? un petit point de réel. Vivement samedimanche !

1. Jacques-Alain Miller, Semblants et sinthomes, La Cause freudienne, n°69,Navarin éditeur.2008.


LA “BANDE-À-MOEBIUS” REDIVIVA

par Nathalie Jaudel


Carole La Sagna avait raison de souligner dans le JJ 48 l'advenue d'une "génération forums". J'en suis issue. J'ai commencé à assister au cours de Jacques-Alain Miller en 2001, soit peu de temps avant qu’il ne sorte de sa longue réserve pour s’opposer à MM. Denis et Diatkine puis aux visées de M. Accoyer. Cette génération, qui se définit par un certain rapport à l'École bien plus que par son appartenance à une classe d'âge, a donc été portée sur les fonts baptismaux dans une atmosphère de résistance et de refus. Cela n'a pas été sans imprimer sa marque.

Jacques-Alain Miller n'a pas pour autant cessé, en parallèle, de faire porter ses efforts sur la formation des analystes, les invitant à cet « effort de poésie » et à ce « tact de l'à-propos » dont Michèle Simon se fait à juste titre l'écho, et qui sont propres à assurer l'avenir de notre pratique.

Mais pour assurer celui de son École, Lacan réclamait-il des poètes et des artistes — ou des guerriers ? Ne s'est-il pas toujours insurgé publiquement — et avec quelle indomptable pugnacité — contre les mauvais traitements qui lui étaient réservés ? Que l’on se reporte à la première leçon du Séminaire, Livre XI, ou à son « Discours à l’École freudienne de Paris » du 6 décembre 19672, dans lequel il vilipende « Dindon » et ses propositions malpropres de juillet 1962, ceux qui sourcillent devant la face d’expansion de son discours et qui, de l’avoir tenu sous le boisseau, se sentent un droit de priorité sur celui-ci, ceux qui, pour retrouver tous leurs droits à l’Internationale, n’ont même pas besoin de voter pour l’exclure. Trouve-t-on dans ces lignes de la pudeur, ou du courroux ? du tact, ou de la bravoure ? de la poésie, ou des imprécations ? Jacques Lacan, c’est en tout cas ainsi que je le perçois, avait une trop haute idée de lui-même, du rôle qui lui était dévolu et de la psychanalyse, pour se laisser bafouer sans mot dire. Ne nous a-t-il pas mis en garde contre la tentation de « rendre les armes devant les impasses croissantes de notre civilisation »3 ? N’a-t-il pas, dans son admirable hommage à Freud à la fin de la « Direction de la cure » souligné que celui-ci avait « grondé […] contre l'accapa­rement de la jouissance par ceux qui accumulent sur les épaules des autres les charges du besoin ? »4.

La psychanalyse est en déclin. N'en sommes nous pas en partie responsables ? N'avons-nous pas, par notre silence, notre discrétion et notre retenue, contribué à la laisser déconsidérer ? N'avons nous pas trop longtemps laissé le champ libre à ceux qui, au prétexte de peser le pour et le contre, et sous couvert de l'impartialité de l'historien, répandent dans les médias une image de Lacan et de notre pratique aussi ravalée que dégradante, moquant comme folie son « pouvoir d’illecture » faute de pouvoir l’historialiser à leur aise5, ou calomniant ses inventions les plus radicales avec un mépris dont ses adversaires eux-mêmes n’osent pas témoigner ? Serions-nous tombés sur la tête pour ne pas s’indigner que l’on affirme que Lacan pratiquait les séances brèves par amour de l’argent ?

Chère Michèle Simon, avez-vous relu récemment la « Lettre claire comme le jour… » que vous me donnez en exemple, et celle qui l’a précédée, et celles qui l’ont suivie ? Votre mémoire, et votre goût pour la poésie, n’auraient-ils pas quelque peu gommé les aspérités du discours de celui qui se déclarait « Jacques-Alain le furieux, qui donnera des coups d’estoc et de taille jusqu’à ce qu’on lui rende raison, et à son maître Lacan ? »6 Vous souvient-il qu’il s’interrogeait en ces termes : « Quoi donc me donne l’audace de franchir les bornes mises à l’expression publique par le démon de la pudeur ? »7 — et surtout qu’il se demandait s’il pourrait nous faire jouer la partie assez bien pour que nous la gagnions avec lui8 ?

2 Ibid., p. 269.
3 J. Lacan, « Conférence au “Magistero” de l’Université de Rome, le 15 décembre 1967, Scilicet, n° 1, p. 50.
4 J. Lacan, « La Direction de la cure et les principes de son pouvoir », Écrits, Seuil, Paris, 1966, p. 642.
5 J. Lacan, « L’acte psychanalytique, compte rendu du séminaire 1967-1968 », Autres Écrits, op.cit.., p. 382.
6 « Première lettre adressée par J.-A. Miller à l’opinion éclairée », 4 septembre 2001, p. 11.
7 « A la mémoire de Freud - Cinquième lettre », 7 octobre 2001, p. 27.
8 Ibid., p. 38.



« Jour J ! »

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UN EFFET « JACQUES A DIT »

par Alain Vaissermann


J’admire la façon par laquelle vous entraînez les foules.

Tiens, ça me rappelle le temps de la gauche prolétarienne alors que j' étais à la L C R.

Un effet « Jacques ( Alain Miller) a dit.

« Mettez les bras en avant. ».

Et la foule obtempère.

J aime l’idée qu’il y en ait au moins qui fasse objection et je le fais, vous en déplaise.
Je ne peux croire que l’esprit moutonnier serait la base, du dur désir de devenir psychanalyste., à moins que nous souscrivions à une fin d’analyse qui ne relève que de l’identification.

Tout semble être bien réglé par un logiciel efficace, mais les logiciels ne savent pas prendre en compte la dimension du désir ,sinon le seul facteur du hasard.

Mais non la contigence et ni le possible, et bien encore moins l'impossible en négligeant le nécessaire.
Il y a un risque majeur à nous laisser séduire par l"apparente neutralité des machines quand on sait combien elles n'inventent rien mais ne font qu'appliquer un programme qui leur a été inculqué.

Il y a lieu de craindre que "tout est possible" n'entraîne, inéluctablement, vers une dérive d'essence totalitaire. On vérifie dès aujourd'hui que ce slogan mis en tête a des effets ravageurs dans la société a contrario.

En aucun cas la psychanalyse ne saurait être un instrument de pouvoir ni se laisser manipuler.

Je l'affirme de façon très ferme et me battrai, bec et ongle, pour ça.

Il se peut qu’ un grain de sable, une toute petite particule, grippe une machine apparemment plutôt bien huilée.
Ne serai-ce pas la dimension du désir qui se verrait ravalée ?
Je ne suis qu’un fétu de paille, et vous voudrez bien m’excuser de mon impertinence.

Bien entendu ; il est tout à fait hors de question que je me range sous toute forme de fourche caudine.

Ainsi, c'est bien volontairement que je me soustrais du système.

[Cher Vaissermann, mais non, vous n’êtes pas un « fétu de paille », quelle idée ! vous êtes un important syndicaliste, que l’Ecole de la Cause freudienne s’honore de compter parmi ses membres. Vous savez, Trotski aussi entraînait les foules, c’était le meilleur orateur du Parti avec Lénine - et le créateur de l’Armée Rouge, où il inculquait aux moujiks le sens de la discipline en en fusillant le nombre qu’il fallait, ni plus, ni moins. J’ai toujours eu de la tendresse pour lui, et mes « meilleurs amis » étaient trotskistes. J’ai même été amicalement félicité par Krivine – nous manifestions ensemble - avenue de Marigny, devant l’Elysée, pour avoir déclenché un mouvement de masse au moment de l’affaire Jaubert - c’est loin ! A l’ECF, je me suis tout de même tenu à l’écart des affaires publiques un bout de temps, avant de faire ce retour sensationnel qui vous chagrine, et dont je suis, entre nous, le premier surpris. Mais vous avez raison : il n’est pas sain qu’un seul ait trop d’influence sur ses collègues, et je me porterais volontiers candidat à l’ostracisme, si nos statuts d’utilité publique le permettaient. Mais si je dis, comme ça, que je me retire maintenant, les « ne me quitte pas ! » vont fuser, et l’on dira que je joue la coquette. Donc, que proposez-vous, cher vaisermann ? hormis me fusiller, bien sûr, auquel cas je ne voterais pas pour, tout de même.]



SABINA SPIELREIN :

UN CAS D’HYSTÉRIE PSYCHOTIQUE ?

Par Erkaterina Ostachenko


Lors de son intervention au 1er Congrès international de psychiatrie et de neurologie à Amsterdam, Carl Gustav Jung présente un cas d’hystérie psychotique













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