17 de dezembro de 2009

[laliste] Le feuilleton n°5


n° 5


Urgence de la poésie

I- Urgence de l’agir

Philippe Lacadée – La Demi-lune


Je propose de situer en trois temps l’urgence du vivant dans son rapport à la langue : urgence de l’agir I, le geste de rupture II, urgence du verbe III.

« Moi pressé de trouver le lieu et la formule », écrivait Arthur Rimbaud à la fin de sa poésie Vagabonds1. Lui, qui écrivait les dissertations qu’on lui demandait de faire à l’école en deux langues, une langue vivante, le français, qui occidentalisait sa « vraie vie », et une langue morte, le latin, aurait bien su nous dire de ne pas oublier l’étymologie d’urgence. Urgens, de Urgere, pousser, presser, dit bien ce qui de la volonté obscure de jouissance est en jeu dans le réel, quand justement elle ne trouve pas à s’arrimer à la pulsion et son objet séparable.

Le petit tour du circuit de la pulsion, autour d’un objet de l’Autre, mais séparé de l’Autre, n’est pas l’errance pressante de certains de nos adolescents psychotiques qui ne s’arriment à rien. Ils sont là sans s’articuler au domicile fixe de la langue, passant à l’état de SAF, « sans Autre fixe », sauf celui de la jouissance qui, au lieu de lui faire logis, n’a de cesse de le poursuivre du dehors. De ne pas s’articuler à cette langue, de ne pas user de la première figure de rhétorique, apparue chez le petit-fils de Freud, porte ouverte de la langue de l’Autre, selon la paire ordonnée du Fort/Da, accompagnée d’un sacrifice automutilatoire incarné non pas dans sa chair mais dans un objet, la bobine, c’est eux-mêmes comme bobines désarrimées qui courent, errent dans la langue. D’être ainsi hors-discours, ils brisent les vitres qui ne leur offrent aucun cadre sur lequel prendre appui pour se voir ailleurs, au dehors, libre de l’Autre qui ne cesse de leur refléter leur être insupportable. Le mur de la langue trop mutilante, qui ne s’ouvre pas pour eux sur le manque-à-être, les pousse à trouer nos murs, quand ceux-ci viennent à donner trop de corps à l’en-trop de jouissance dans laquelle ils se sont emmurés.

Le poète, lui, se dit être « pressé de trouver le lieu et la formule ». Pour cela, il prend appui sur le cadre d’une fenêtre, qu’il n’hésite pas à nommer « distraction vaguement hygiénique ». Mais, de cette fenêtre, il trouve le lieu d’une formule possible, celle de se séparer d’une part de lui-même. De cette part prise dans le désir de l’Autre, que ce soit le désir de sa mère ou celui du « satanique docteur » qui veut s’occuper de lui, en effet, il se sépare, en prenant appui sur le cadre de la fenêtre, point d’où, fiction nécessaire et fixion réelle, il se voit errant sur les chemins de campagne qui ne le mènent pas à la Rome du désir mais à l’arôme de la nature où il se sent, au nom de sensations immédiates, « heureux comme avec une femme »2. Ainsi, cette « liberté libre », qu’il dit avoir trouvée, structure la pantomime de cette jouissance errante, toujours Autre, indicible, de refuser à nouer son vivant à la langue articulée à l’Autre et qui lui ouvre la porte d’« Une Saison en enfer ». Sans le secours du discours établi, il se met en état d’urgence, comme trafiquant d’armes, et non plus de son âme de poète, toujours en recherche de « trouver une langue » pour abriter ce à quoi il tenait plus que tout : « un dérèglement de tous les sens ». Il trouva alors la formule, en se soutenant de cette fiction : « être le fils qui manque au soleil », soit « le nègre blanc ». Sa quête trouva ainsi son lieu de jouissance en son corps même, errant sous le soleil africain, jusqu’à y perdre, non sa bobine, mais un morceau de son corps si utile à la marche.

  1. Rimbaud A., « Vagabonds », Œuvre-vie, éditions du centenaire, Arléa, 1991, p.349.
  2. Rimbaud A., « Sensations », Œuvre-vie, op, cit., p.125.

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