La crise financière vue par Jacques-Alain Miller
L’hebdomadaire Marianne a prévu de publier demain une interview de Jacques-Alain Miller sur la crise financière.
1/ Comme le rappelle l'étymologie, il existe des affinités entre le mot crise et le mot critique. La crise fait appel au jugement, mais c'est surtout un point de bascule, un peu comme la maladie qui peut conduire à la mort ou à la guérison. Pour le psychanalyste, que signifie avant tout ce mot de crise?
Le psychanalyste est ami de la crise. Entrer en analyse constitue toujours pour le sujet un moment critique, qui répond à une crise, ou en révèle une. Seulement, une fois commencée, l’analyse est un travail : foin des crises ! Les crises de larmes ? on attend que ça passe. Les crises d’angoisse, voire de panique ? on les désamorce. Les crises de folie ? on évite de les déclencher… En un autre sens, chaque séance est comme une petite crise, qui connaît paroxysme et résolution. Bref, il y a crise, au sens psychanalytique, quand le discours, les mots, les chiffres, les rites, la routine, tout l’appareil symbolique, s’avèrent soudain impuissants à tempérer un réel qui n’en fait qu’à sa tête. Une crise, c’est le réel déchaîné, impossible à maîtriser. L’équivalent, dans la civilisation, de ces ouragans par lesquels la nature vient périodiquement rappeler à l’espèce humaine sa précarité, sa débilité foncière.
2/ Comment interprétez-vous la peur de perdre son argent? Tenir à son argent, cela-t-il le même sens pour un petit épargnant et pour un milliardaire?
Il m’est arrivé jadis de recevoir durant quelques semaines un patient qui était milliardaire, un rien maniaque, et qui m’annonçait régulièrement en riant qu’il avait gagné ou perdu un million de dollars le matin même en spéculant sur les monnaies. Le prix de la séance, c’était pour lui une sorte de pourboire, ça n’existait pas. Il a fini sur la paille. Il est d’autres types de riches, économes, voire avares, et plus avisés. Mais si vous êtes vraiment riche, vous êtes plutôt inanalysable, car vous n’êtes pas en mesure de payer, de céder quoi que ce soit de significatif : l’analyse vous glisse dessus comme l’eau sur les plumes d’un canard. Le « petit épargnant » ? épargner, accumuler, c’est sacrifier le désir, ou au moins l’ajourner. La cassette d’Harpagon, c’est de l’encaisse-jouissance, de la jouissance gelée. L’argent, c’est un signifiant sans signification, qui tue toutes les significations. Quand on se voue à l’argent, la vérité perd tout sens, on n’y voit qu’un attrape-nigaud.
3/ L'appât du gain, la volonté d'amasser des sommes telles qu'elles en deviennent irréelles a-t-elle selon vous à voir avec l'angoisse de la mort?
Oui, le pousse-à-l’épargne spécule ouvertement sur la mort, la peur des maladies, le désir de se perpétuer dans sa descendance. Mais il y a aussi le pousse-au-crédit, à la consommation immédiate, à la dépense effrénée. Et, troisièmement, il y a l’argent pour l’argent, le pur plaisir de posséder, le pousse-au-plus. Mort, jouissance, et répétition, ce sont les trois face d’une pyramide dont la base est donnée par la nature inconsciente de l’argent : celui-ci est de l’ordre de l’objet anal. Qu’est-ce qu’on aperçoit dans ce moment de vérité que constitue une crise financière ? que tout ça ne vaut rien. – que l’argent, c’est de la merde, quoi ! Voilà le réel qui déconcerte tous les discours. On appelle ça, poliment, « les actifs toxiques »… Benoît XVI, toujours vif, n’a pas tardé à exploiter la crise financière : ça prouve bien, a-t-il dit, que tout est vanité, et que seule la parole de Dieu tient le coup !
4/ Cette crise comporte une forte dimension psychologique Qu'est-ce qui explique selon vous ces mouvements de panique, qu'on relève en particulier avec les secousses des marchés boursiers? Qu'est-ce qui les déclenche, et comment peuvent-ils être apaisés?
Le signifiant monétaire est un semblant, qui repose sur des conventions sociales. L’univers financier est une architecture de fictions dont la clé de voûte est ce que Lacan appelait un « sujet supposé savoir », savoir le pourquoi et le comment. Qui joue ce rôle ? Le concert des autorités, d’où parfois se détache une voix, Alan Greenspan, par exemple, en son temps. Là dessus se fondent les anticipations, et anticipations d’anticipations, des opérateurs. Tout cet ensemble fictionnel et hyper-réflexif tient par « la confiance », c’est à dire par le transfert au sujet supposé savoir. Si celui-ci s’effondre, il y a crise, débâcle des fondements, ce qui entraîne logiquement des effets de panique. Or, le sujet supposé savoir financier était déjà très délité, parce qu’on avait dérégulé à tout va. Et on l’avait fait parce que la finance croyait, dans son délire d’infatuation, pouvoir se passer de la fonction de sujet supposé savoir. C’était croire au père Noël. Premier temps : les actifs immobiliers deviennent des déchets. Temps 2 : de proche en proche la merde envahit tout. Temps 3 : gigantesque transfert négatif à l’endroit des autorités, l’électrochoc du plan Paulson loupe. Non, la crise durera tant que l’on aura pas reconstitué un sujet supposé savoir. Cela passera à terme par un nouveau Bretton Woods, un concile chargé de dire le vrai sur le vrai.
L’hebdomadaire Marianne a prévu de publier demain une interview de Jacques-Alain Miller sur la crise financière.
1/ Comme le rappelle l'étymologie, il existe des affinités entre le mot crise et le mot critique. La crise fait appel au jugement, mais c'est surtout un point de bascule, un peu comme la maladie qui peut conduire à la mort ou à la guérison. Pour le psychanalyste, que signifie avant tout ce mot de crise?
Le psychanalyste est ami de la crise. Entrer en analyse constitue toujours pour le sujet un moment critique, qui répond à une crise, ou en révèle une. Seulement, une fois commencée, l’analyse est un travail : foin des crises ! Les crises de larmes ? on attend que ça passe. Les crises d’angoisse, voire de panique ? on les désamorce. Les crises de folie ? on évite de les déclencher… En un autre sens, chaque séance est comme une petite crise, qui connaît paroxysme et résolution. Bref, il y a crise, au sens psychanalytique, quand le discours, les mots, les chiffres, les rites, la routine, tout l’appareil symbolique, s’avèrent soudain impuissants à tempérer un réel qui n’en fait qu’à sa tête. Une crise, c’est le réel déchaîné, impossible à maîtriser. L’équivalent, dans la civilisation, de ces ouragans par lesquels la nature vient périodiquement rappeler à l’espèce humaine sa précarité, sa débilité foncière.
2/ Comment interprétez-vous la peur de perdre son argent? Tenir à son argent, cela-t-il le même sens pour un petit épargnant et pour un milliardaire?
Il m’est arrivé jadis de recevoir durant quelques semaines un patient qui était milliardaire, un rien maniaque, et qui m’annonçait régulièrement en riant qu’il avait gagné ou perdu un million de dollars le matin même en spéculant sur les monnaies. Le prix de la séance, c’était pour lui une sorte de pourboire, ça n’existait pas. Il a fini sur la paille. Il est d’autres types de riches, économes, voire avares, et plus avisés. Mais si vous êtes vraiment riche, vous êtes plutôt inanalysable, car vous n’êtes pas en mesure de payer, de céder quoi que ce soit de significatif : l’analyse vous glisse dessus comme l’eau sur les plumes d’un canard. Le « petit épargnant » ? épargner, accumuler, c’est sacrifier le désir, ou au moins l’ajourner. La cassette d’Harpagon, c’est de l’encaisse-jouissance, de la jouissance gelée. L’argent, c’est un signifiant sans signification, qui tue toutes les significations. Quand on se voue à l’argent, la vérité perd tout sens, on n’y voit qu’un attrape-nigaud.
3/ L'appât du gain, la volonté d'amasser des sommes telles qu'elles en deviennent irréelles a-t-elle selon vous à voir avec l'angoisse de la mort?
Oui, le pousse-à-l’épargne spécule ouvertement sur la mort, la peur des maladies, le désir de se perpétuer dans sa descendance. Mais il y a aussi le pousse-au-crédit, à la consommation immédiate, à la dépense effrénée. Et, troisièmement, il y a l’argent pour l’argent, le pur plaisir de posséder, le pousse-au-plus. Mort, jouissance, et répétition, ce sont les trois face d’une pyramide dont la base est donnée par la nature inconsciente de l’argent : celui-ci est de l’ordre de l’objet anal. Qu’est-ce qu’on aperçoit dans ce moment de vérité que constitue une crise financière ? que tout ça ne vaut rien. – que l’argent, c’est de la merde, quoi ! Voilà le réel qui déconcerte tous les discours. On appelle ça, poliment, « les actifs toxiques »… Benoît XVI, toujours vif, n’a pas tardé à exploiter la crise financière : ça prouve bien, a-t-il dit, que tout est vanité, et que seule la parole de Dieu tient le coup !
4/ Cette crise comporte une forte dimension psychologique Qu'est-ce qui explique selon vous ces mouvements de panique, qu'on relève en particulier avec les secousses des marchés boursiers? Qu'est-ce qui les déclenche, et comment peuvent-ils être apaisés?
Le signifiant monétaire est un semblant, qui repose sur des conventions sociales. L’univers financier est une architecture de fictions dont la clé de voûte est ce que Lacan appelait un « sujet supposé savoir », savoir le pourquoi et le comment. Qui joue ce rôle ? Le concert des autorités, d’où parfois se détache une voix, Alan Greenspan, par exemple, en son temps. Là dessus se fondent les anticipations, et anticipations d’anticipations, des opérateurs. Tout cet ensemble fictionnel et hyper-réflexif tient par « la confiance », c’est à dire par le transfert au sujet supposé savoir. Si celui-ci s’effondre, il y a crise, débâcle des fondements, ce qui entraîne logiquement des effets de panique. Or, le sujet supposé savoir financier était déjà très délité, parce qu’on avait dérégulé à tout va. Et on l’avait fait parce que la finance croyait, dans son délire d’infatuation, pouvoir se passer de la fonction de sujet supposé savoir. C’était croire au père Noël. Premier temps : les actifs immobiliers deviennent des déchets. Temps 2 : de proche en proche la merde envahit tout. Temps 3 : gigantesque transfert négatif à l’endroit des autorités, l’électrochoc du plan Paulson loupe. Non, la crise durera tant que l’on aura pas reconstitué un sujet supposé savoir. Cela passera à terme par un nouveau Bretton Woods, un concile chargé de dire le vrai sur le vrai.
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La crisis financiera vista por Jacques-Alain Miller
La crisis financiera vista por Jacques-Alain Miller
El semanario Marianne ha previsto publicar mañana una entrevista de Jacques-Alain Miller sobre la crisis financiera.
1/ Como lo recuerda la etimología, existen afinidades entre la palabra crisis y la palabra crítica. La crisis llama al juicio, pero es sobretodo un punto de báscula, un poco como la enfermedad que puede conducir a la muerte o a la cura. Para el psicoanalista, ¿qué significa ante todo esta palabra crisis?
1/ Como lo recuerda la etimología, existen afinidades entre la palabra crisis y la palabra crítica. La crisis llama al juicio, pero es sobretodo un punto de báscula, un poco como la enfermedad que puede conducir a la muerte o a la cura. Para el psicoanalista, ¿qué significa ante todo esta palabra crisis?
El psicoanalista es amigo de la crisis. Entrar en análisis constituye siempre para el sujeto un momento crítico, que responde a una crisis, o revela una. Solo que una vez comenzado el análisis es un trabajo: ¡Basta de crisis! ¿Las crisis de lágrimas? Esperamos que pasen. ¿Las crisis de angustia, incluso de pánico? se las desactiva. ¿Las crisis de locura? Evitamos desencadenarlas…En otro sentido, cada sesión es como una pequeña crisis, que conoce paroxismo y resolución. En breve, hay crisis, en el sentido psicoanalítico cuando el discurso, las palabras, las cifras, los ritos, la rutina, todo el aparato simbólico, se demuestra súbitamente impotente para temperar un real que hace a su antojo. Una crisis, es lo real desencadenado, imposible de dominar. El equivalente, en la civilización de esos huracanes por medio de los cuales, periódicamente la naturaleza viene a recordarle a la especie humana su precariedad, su profunda debilidad
2/ ¿Cómo interpreta usted el miedo de perder su dinero ? Mantener su dinero, tiene el mismo sentido para un pequeño ahorrista y para un millonario?
Me ocurrió hace tiempo recibir durante algunas semanas un paciente que era millonario, un poco maníaco, y que me anunciaba regularmente riendo que había ganado o perdido un millón de dólares esa misma mañana especulando con su dinero. El precio de la sesión, era para él una suerte de propina, no existía, terminó arruinado. Hay otro tipo de ricos, ahorrativos, incluso avaros, y más prudentes. Pero si usted es verdaderamente rico, usted es más bien inanalizable, puesto que no está en condiciones de pagar, de ceder algo significativo: el análisis le resbala como el agua. ¿El “pequeño ahorrista”? ahorrar, acumular, es sacrificar el deseo, o al menos aplazarlo. El cofre de Harpagón, es el ahorro - goce, el goce congelado. El dinero, es un significante sin significación, que mata todas las significaciones. Cuando uno se dedica al dinero, la verdad pierde todo sentido, no se ve allí más que un engañabobos.
3/El afán de lucro, la voluntad de amasar sumas tales que se vuelven irreales, ¿tiene que ver, según usted, con la angustia de muerte?
Sí, el empuje al ahorro especula abiertamente con la muerte, el miedo a las enfermedades, el deseo de perpetuarse en su descendencia. Pero también existe el empuje al crédito, al consumo inmediato, al gasto desenfrenado. Y en tercer lugar, está el dinero por el dinero, el puro placer de poseer, el empuje al más. Muerte, goce y repetición, son las tres caras de una pirámide cuya base está dada por la naturaleza inconciente del dinero: este es del orden del objeto anal. ¿Qué es lo que percibimos en este momento de verdad que constituye una crisis financiera? Que todo eso no vale nada, - que el dinero, es mierda, ¡vamos! Esto es lo real que desconcierta a todos los discursos. Se llama a esto, amablemente, “los activos tóxicos”… Benedicto XVI, siempre vivaz, no tardó en explotar la crisis financiera: ¡eso prueba bien, dice, que todo es vanidad, y que solo la palabra de Dios se sostiene!
4/ Esta crisis comporta una fuerte dimensión psicológica. ¿Que es lo que según usted, explica estos movimientos de pánico, que se verifican en particular con las sacudidas de los mercados bursátiles?¿Qué es lo que los desencadena, y cómo pueden ser apaciguados?
El significante monetario es un semblante, que descansa en convenciones sociales. El universo financiero es una arquitectura de ficciones, el pilar es lo que Lacan llamaba un “sujeto supuesto saber”, saber el porqué y el cómo. ¿Quién juega este papel? El concierto de las autoridades, de allí a veces de desprende una voz, Alan Greenspan, por ejemplo, en su época. Sobre ello se fundan anticipaciones, y anticipaciones de anticipaciones, de los operadores. Todo este conjunto de ficción e hiper reflexivo se sostiene por “la confianza”, es decir por la transferencia con el sujeto supuesto saber. Si este se hunde, hay crisis, debacle de los fundamentos, lo que arrastra lógicamente efectos de pánico. Ahora, el sujeto supuesto saber financiero estaba ya muy deteriorado, porque habían desregulado a todo vapor. Y lo hicieron porque los financistas creyeron con su delirio de infatuación poder prescindir de la función de sujeto supuesto saber. Eso era creen en Papá Noel. Primer tiempo: los activos inmobiliarios se vuelven deshechos. Tiempo 2: poco a poco la mierda invade todo. Tiempo 3: gigantesca transferencia negativa hacia las autoridades, el electrochoque del plan Paulson fracasa. No, la crisis durará hasta tanto se haya reconstituido un sujeto supuesto saber. Esto ocurrirá en su momento con un nuevo Bretton Woods, un concilio encargado de decir lo verdadero sobre lo verdadero.
Traducción:Silvia Baudini
Um comentário:
Resulta notable un efecto que se puede señalar de estas últimas semanas en el consultorio: son pocos los pacientes que hacen referencia a la crisis global, como si cierto cinismo no terminara de desprenderse. Las referencias más generales son de caracter irónico como si se tratara de una crisis pasajera, un movimiento que en poco tiempo va encontrar su límite "naturalmente". Por otro lado los medios de comunicación, que en ocasión de terrible atentado a las Twin Towers transmitieran en directo, minuto a minuto, la catástrofe continúan su programación como si nada los tocara, como si fuera un dato más...La Nación titula "Se hunde el viejo continente" y a renglón seguido discute donde se jugará la final de la Davis en una superposición propia de la manía.
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