L’image a envahi le monde avec une puissance inégalée. L’apparence, l’être, la rue, le métro, les relations à l’autre, le social, la sexualité… Rien n’y échappe. Facebook, Instagram, Snapchat… je me donne à voir. Quel succès ! Big Brother ne fait plus peur. C’est le triomphe de l’œil, et de ses appareils sophistiqués : ils sont partout. « Le spectacle du monde, en ce sens, nous apparaît comme omnivoyeur »[1] (Jacques Lacan). Nous qui voulons voir et être vus, sommes devenus omnivoyeurs.
Mais où est passé le regard ?
Une histoire vraie… Lacan, sur un bateau de pêche en Bretagne, voit
flotter sur l’eau un point lumineux. C’est une boite de conserve. Il
s’entend dire alors par un des pêcheurs : « tu vois, cette boite ? Tu la
vois, eh bien, elle, elle te voit pas ! [2] »
Elle ne le voit pas, en effet, elle le regarde, lui qui, jeune
intellectuel ou étudiant, faisait tache dans le tableau. La gêne
ressentie alors, qui avait surgi de ce regard, il ne l’oubliera pas.
Tant d’années plus tard il tirera de la trouvaille de petit Jean la
distinction, la disjonction de l’œil et du regard.
Nous sommes avant tout des êtres regardés. Le regard, c’est toujours le regard de l’Autre.
L’attrape regard
Il suffit d’un instant où il ou elle accroche le regard : coup de foudre !
C’est précisément ce qui ne me voit pas qui m’attrape comme regard.
Et si les objets semblent lorgner dans notre direction, c’est en tant
qu’ils impriment profondément, physiquement l’image qu’ils nous
renvoient de nous-mêmes. Car notre corps éprouve le regard, il est pris
par celui-ci suivant des modalités infiniment variées. Ces Journées
auront à explorer la clinique du regard : les souffrances du comment je
me vois, comment je me regarde, comment l’autre me regarde, mais aussi
celles du donner à voir comme de la soustraction au regard, anorexie,
boulimie, phobie, scarification et aussi bien tatouages, expérience du
corps à l’aide de substances, ou encore addictions.
Le regard manque
C’est plutôt l’attention de ce qui vous regarde qu’il s’agit d’obtenir[3]. Ce
regard qui me manque et que je désire. Thèse essentielle de Lacan qui
éclaire le triomphe actuel du narcissisme et sa vérité : vitalité et
tranchant mortel du rapport à l’image spéculaire. L’angoisse guette d’un
regard qui vous voit sans vous regarder. L’artiste sait que le regard
est un objet : ici il nous enseignera.
Quel objet ?
Le regard, drôle d’objet qu’un objet immatériel ! La psychanalyse
d’orientation lacanienne a élaboré à partir de l’expérience de la cure
une définition de l’objet relative non pas à une supposée objectivité,
mais à l’expérience subjective et l’inconscient : les objets a qui ne
sont pas assimilables aux objets communs, soit les objets du partage et
de la concurrence qui circulent dans le commerce humain. Le regard est
l’un d’entre eux. Plutôt qu’objet désiré, il est cet élément qui cause
le désir dans l’économie libidinale du sujet.
Les 46ème journées de l’ECF promettent de nous enseigner sur ce voir
généralisé et l’extrême singularité de chaque rencontre avec le regard.
Elles seront, voyez-vous, pour chacun, un rendez-vous avec le plus
intime, le plus subversif de la psychanalyse et le plus crucial du
moment présent.
Laurent Dupont
_____________
[1] Lacan
Jacques, Le Séminaire, livre XI, Les quatre concepts fondamentaux de la
psychanalyse (1964), texte établi par J.-A. Miller, Paris, Seuil, coll.
Champ Freudien, 1973, p. 71.
[2] Ibid., p. 89.
[3]
CF Lacan J., « Hommage fait à Marguerite Duras, du ravissement de Lol
V. Stein » (1965), Autres écrits, Paris, Seuil, coll. Champ Freudien,
2001.
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