Un pape malade de la vérité
par Jacques-Alain Miller
Texte écrit pour l’hebdomadaire "Le Point", à paraître jeudi prochain
Le pape, qui était naguère un théologien moderniste, semble revenir au XIXème siècle. Comment expliquer ce changement de comportement ?
Le cardinal Ratzinger ne passait pas pour un progressiste. À la Congrégation de la Foi, il était d’ailleurs le lointain successeur de Torquemada. Néanmoins, tous célébraient son impeccable mécanique intellectuelle. D’où la surprise quand le " Panzerkardinal ", une fois élu pape, s’est métamorphosé en Benoît La Gaffe.
S’agit-il vraiment de gaffes ?
Le mot est de l’hebdomadaire catholique La Vie. Les services du Vatican doivent régulièrement émonder ses propos et les clarifier après-coup, et ces services gaffent souvent eux-mêmes. Le phénomène a encore empiré la semaine dernière.
L’âge du pape est-il un facteur ?
Non. Ses bourdes ne sont pas des lapsus, elles sont longuement méditées. Ses propos ne témoignent d’aucun affaiblissement de ses facultés. Le problème n’est pas qu’il ait changé, mais bien plutôt qu’il soit resté ce qu’il était. Visiblement, il n’a pas pris la mesure de la fonction. Devenu pape, il n’a pas dépouillé le vieil homme.
Sa personnalité est-elle donc en cause ?
Jean-Paul II non plus n’était pas progressiste, mais il avait une personnalité rayonnante, l’expérience du monde, et aussi, dit-on, des femmes. C’était un grand rusé, qui en avait remontré aux communistes, une bête de scène aussi, un homme du Verbe, sachant parler à la multitude et la séduire, un inspiré. Benoît, lui, est un homme de la Lettre, un érudit, un professeur, habile à faire parler les textes, et qui aime à jouer du piano dans la solitude. Il est, de plus, franc comme l’or : il dit tout haut ce qu’il pense. Là est son tort. Un pape ne parle pas seulement à Dieu, mais à tous les peuples de la terre. Dès que cet Autre immense dont il ne connaît rien hurle à la mort, on le voit sursauter, reculer, battre sa coulpe.
Il y a en effet un décalage entre la virulence de ses propos et, ensuite, son attitude presque désemparée. Il manque de sens politique ?
Oh, c’est plus grave. Tel l’Alceste de Molière, cet homme honnête est malade de la vérité. Sous prétexte que la Vérité serait Une et éternelle, il la prend au pied de la lettre et veut la dire toute entière, annoncer la Bonne Nouvelle comme un théorème. Il méconnaît la leçon de Loyola : que toute vérité, y compris La Vérité, passe mieux entre les lignes ; qu’il ne faut pas la claironner, l’asséner, mais l’insinuer, la rendre aimable ; qu’elle n’est pas à énoncer en tous lieux, à tous moments, et à tous, de la même façon ; que c’est l’auditeur qui, en définitive, décide du sens du discours qu’on lui adresse. La recette du présent désastre ? Idéologie à contre-courant, prédication au kärcher, vacarme, débandade. Résultat : fini le respect. Cet esprit éminent est devenu le premier pape ridicule de l’histoire. L’opinion le tient pour un benêt et un malfaisant. Les médias le saigneront à blanc.
La surenchère aura-t-elle une limite ?
Le prochain pontificat. Un pape à la coule. Un rhéteur.
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