Eveil, acte et action
Quelle est cette potion magique donnant aux adhérents du Champ
freudien une force de mobilisation politique efficace qui ne fait que
croître ces deux dernières décennies ? Le constat de cette vitalité
n’est pas seulement le nôtre. Il est partagé par un grand nombre de
personnes qui ne s’engagent pas nécessairement dans la voie analytique.
Est-ce le fait que la psychanalyse telle qu’elle rayonne à partir de
notre École séduit particulièrement des individus ayant une conscience
politique vigoureuse ? Nous pensons au contraire que c’est la formation
du psychanalyste qui politise le « candidat ». Non pas qu’elle le rende
davantage fervent d’un discours de « gauche » ou de « droite ». La
formation desserre les adhérences aux idéaux. Si le psychanalyste,
toujours en devenir, est porteur d’un idéal politique, c’est pour autant
que sa formation n’est pas encore aboutie. En revanche, si cette
formation est politisante, c’est qu’elle le transporte des impasses
individuelles de sa subjectivité vers une implication dans la
« subjectivité de son époque »[1].
En 2003, suite à l’amendement Accoyer qui visait l’obtention d’un
contrôle étatique de leur formation, les psychanalystes sont sortis une
première fois de leur neutralité clandestine pour initier une série
d’actions de défense de la psychanalyse, des psychanalystes et de leur
pratique. Depuis lors, cette action n’a jamais cessé et on a eu
l’occasion de le constater encore récemment en Belgique autour de la loi
sur les professions de santé mentale et en France lors de la lutte
contre le projet de résolution dit « Fasquelle » qui visait à
« interdire et condamner » la psychanalyse dans le traitement de
l’autisme. Mais l’effet politique de la formation, au-delà de la défense
de la psychanalyse et de sa clinique, a été isolé de façon
particulièrement aigue lors de l’année écoulée, dénommée par
Jacques-Alain Miller « l’année zéro du Champ freudien ». Dans sa
conférence du 24 juin dernier[2], il décrit ainsi la traversée qui eut
lieu à ce moment-là : « quelque chose a été touché qui a mis en question
et même en cause les fondements même du discours psychanalytique […].
Débouler sur la place publique, prendre parti dans la consultation
électorale, en appeler à l’opinion des citoyens et se mobiliser sur
l’ensemble du territoire national, cela n’a jamais été fait dans
l’histoire de la psychanalyse ». Après 37 ans d’incubation,
d’élaboration autour de l’éthique de la psychanalyse et de
prédominance du « retour à la clinique » lancé en 1981, l’École est
passée à un autre niveau.. Ainsi, la prise de partie de l’ECF contre les
ennemis du genre humain est, selon Jacques-Alain Miller, une passe de
l’École comme sujet.
Cette École-sujet qui vient de faire cette traversée n’est pas un
individu. Elle est divisée, ce qui la met à l’abri de la folie. C’est
dire qu’il n’y a pas une position unique qui serait celle du sujet de
l’École. Celui-ci se déduit plutôt de la grande conversation continue
entre ses membres dans leurs diverses positions. Toutefois, une chose
est claire : la position axiomatique du psychanalyste en tant
qu’indifférent, en tant qu’il ne prend pas parti, n’est pas un mot
d’ordre. Elle n’a jamais été promue ni par Freud, ni par Lacan.
L’effet politique de la formation n’est pas présent uniquement dans
la « réalité transindividuelle du sujet »[3] de l’École. Il est présent
tout d’abord dans les cures quand celles-ci produisent du psychanalyste.
La chute des idéaux, la désidentification, la traversée du fantasme et
la réduction du symptôme ont des incidences non seulement sur la
clinique de l’analysant-praticien, mais aussi sur le style et
l’intensité de la mobilisation politique de chacun. Lacan invite « celui
qui ne peut rejoindre à son horizon la subjectivité de son
époque »[4] à renoncer à la cure dite « didactique ». Ceci ne veut pas
dire que l’action politique est nécessairement le lot de tout
psychanalyste, mais que dans tous les cas son acte politique est déduit
d’un rapport éveillé au réel, dégagé de tout idéal ou programme
préconçus.
Lors de la journée Question d’École du 3 février 2018, nous
souhaitons tirer quelques conséquences de l’année zéro du Champ freudien
sur la formation du psychanalyste et sur les nouvelles modalités de son
action dans le monde.
____________
[1] Lacan J., « Fonction et champ de la parole et du langage en psychanalyse », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p. 321.
[2] Cf. https://www.lacan-tv.fr/videos_categories/les-cours-de-jacques-alain-miller/
[3] Lacan J., ibid.
[4] Lacan J., ibid.
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