Question d'autisme : porter les mots ou portée des mots ?
par Claire Piette
Aujourd'hui foisonnent les ouvrages écrits par des psychologues concernant le bien-être et visant à une harmonie avec soi-même ou avec le conjoint. Cette « littérature » renforce le fantasme des lendemains qui chantent et, à travers ce type de discours prescriptif, dénué de toute poésie, l'expérience singulière est tue, dans le sens où l'expérience des uns pourrait correspondre à l'expérience des autres : l'universel nous attendrait au tournant.
Ceux qui n'arrivent pas à se conformer à ce mieux-être se trouvent réduits à porter les mots, de l'Autre qui, lui, saurait comment faire. Le poids de ces dits alourdit toujours la pesanteur de la culpabilité, redoublée par les mots restés enclos dans celui qui est tourmenté.
Bercés par le rêve du progrès, les auteurs de ces ouvrages croient au métalangage, ignorant par là même leur délire et l'autisme dont ils pâtissent. Lacan fait un sort au métalangage, et lui préfère la « métalangue » : une langue poétique impliquant la bévue.
Le tour de force de la poésie, quand elle rate - fondée sur l'ambiguïté du sens double -, réside, nous dit Lacan, en ce qu'au lieu de mettre du sens face au trou, elle met à sa place la signification, qualifiée de mot vide : « d'être pur nœud d'un mot avec un autre mot. »[1] L'autisme serait le statut premier de l'être, à savoir la rencontre d'un signifiant avec un corps, avant que le sujet ne se mette à délirer : en produisant du sens pour combler le trou, là où l'Autre ne répond pas.
La séance analytique est une façon de faire l'expérience de cette bévue, d'expérimenter « un dire qui secourt »[2], un trajet de la parole qui non seulement se coltine le sens mais aussi se confronte à la signification comme « mot vide », à l'impossibilité de tout dire de ce qui nous arrive comme expérience de parlêtre.
L'expérience analytique donne chance à chacun de saisir comment il a écrit un scénario fantasmatique et un circuit pulsionnel qui recouvre le non rapport sexuel.
Puisqu'on ne sort pas du langage qui nous habite, une analyse ne permet pas de sortir du « tourner en rond » mais elle permet d'y tourner autrement.
Par l'analyse, le sujet n'a pas à répondre à un « prêt à porter » ; cette expérience lui laisse au contraire entrevoir comment se débrouiller avec « ce presque rien » qu'a été la rencontre d'un signifiant avec un corps, une fois le sens exfolié.
[1] Lacan J ., « Vers un nouveau signifiant » in Ornicar, n° 17/18, Navarin, p.9.
[2] Lacan J., « L'insu que sait l'une bévue s'aile a mourre » in Ornicar, n° 14, Navarin, p.6.
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