COMMUNIQUÉ
Contre le projet de loi sur les professions
de la santé
mentale !
"Le bien
dire vaincra"
2.699 amis de
la liberté ont déjà signé la pétition à 16:58
La
violence normale
par Philippe Hellebois
Un patient
hospitalisé en psychiatrie m’a dit récemment, en retraçant son histoire, qu’il
avait longtemps été « un petit délinquant normal » ! Je tiens ce
propos pour une perle parce qu’il illustre bien ce dont il s’agit lorsque l’on
parle de norme, soit de ce qui est ordinaire, courant, habituel – loin du sens
vertueux que nos temps troublés lui attribuent, celui d’équilibre,
de santé, d’un tout va bien. Et de fait, la norme est d’abord une moyenne
désignant ce qui est conforme à la majorité des cas, le milieu d’une courbe de
Gauss, ou encore la zone grise entre deux extrêmes. Précisons encore que ce
terme est d’usage récent, le dernier tiers du 19e siècle, et surtout
statistique sous l’influence des sociologues anglo-saxons. Il existait pourtant
déjà chez les Grecs, mais ceux-ci n’en faisaient qu’un usage technique, le gnomon,
soit ce qui sert de règle se limitant alors à désigner l’instrument mesurant la
hauteur du soleil. Pour eux, trop intellectuels pour nous sans doute mais tout
de même démocrates, le sage n’avait rien à voir avec la norme.
Beaucoup de gens
peuvent en ce bas monde se targuer d’être normaux, le délinquant, le malade,
l’étudiant, le professeur, le mari, l’épouse, la mère de famille, et ainsi de
suite … sauf le ministre et le psychanalyste ! Ce qualificatif ne convient
pas au ministre, premier ou pas, parce qu’il lui est demandé de sortir du lot,
c’est-à-dire d’avoir des idées, de prendre ses responsabilités, bref de ne pas
être couleur muraille. Pour le psychanalyste c’est encore pire. En effet, sa
formation consiste pour une part – celle, prépondérante, qui résulte de son analyse
personnelle – à extraire ce qui en lui ne ressemble à personne, son extrême
singularité. Son analyse sera même sa première formation pratique, celle qui
lui assure de toucher un réel authentique – comment savoir ce qu’est un
symptôme sinon en faisant le tour du sien ? Et ce ne sera qu’ensuite qu’il
pourra accueillir de la bonne façon le symptôme de l’analysant. Le
psychanalyste ne parle ainsi qu’à partir de ce qu’il a éprouvé lui-même,
c’est à la fois sa limite, et son incomparable valeur. Il doit donc choisir,
devenir normal ou psychanalyste … et ce n’est pas tout, puisqu’en plus il lui
sera demandé pour le reste de son âge de lire, d’étudier, d’écrire, et ceci
tout en restant à l’affût de son inconscient ! La psychanalyse opère sur
la singularité absolue de l’être parlant, et à ce titre, se situe en une zone
particulière du savoir, celle qui se situe non pas en opposition à la
science ou à l’Université, mais au-delà. Pour le dire encore autrement, nous
n’arrivons pas à l’universel par les mêmes chemins, les nôtres étant ceux qui
passent par la singularité de chacun.
La loi en préparation sur la psychothérapie permettra-t-elle aux
exceptions, aux sans pareils, aux épars désassortis de continuer à vivre
? Hélas, trois fois hélas, il sera dorénavant question de survivre !
C’est que dès l’exposé des motifs, la nuit tombe, froide, obscure, et
pour tout dire inquiétante, puisqu’elle assène d’emblée, et ceci en
invoquant une science aux forts accents scientistes, que « la
psychothérapie n’est pas une profession en soi ». Si nous ne nous
reconnaissons évidemment pas dans ce terme de psychothérapie, nous
considérons néanmoins que cette suppression, d’un simple trait de plume,
de son droit à l’existence n’annonce rien de bon. Cela nous semble même
d’une violence excessive, voire extrême, faisant irrésistiblement
penser à cette expression célèbre de la grande Hanna Arendt, la banalité
du mal. Du mal au normal, l’homophonie est presque parfaite…
______________
Communiqué
Nous suivîmes avec
une vive attention les concertations qui eurent lieu en Belgique, il y a deux
ans, sur la loi relative aux professions de soins de santé mentale et leur
aboutissement par un vote qui, non seulement n’en excluait aucune, témoignait
d’un compromis voire d’un équilibre justement trouvé entre diverse tendances,
tout en reconnaissant, surtout, la place d’exception de la psychanalyse et sa
distinction de la psychothérapie.
Aujourd’hui, nous
sommes profondément inquiets du fait de la remise en question de cette loi et
du nouveau projet élaboré en catimini par une femme politique belge,
lequel s’avère, de la façon la plus arbitraire qui soit, une attaque insensée
contre les pratiques de la parole. Il s’agit, ni plus ni moins, d’une
régression sans précédent sur ce qui fut gagné à force d’échanges et de débats
constructifs.
Ce projet, qui se
fonde sur une idéologie scientiste et prône des méthodes autoritaires, est une
mise au pas de pratiques où la liberté de parole est un principe fondamental
pour qu’elles puissent s’exercer.
Ce projet porte
atteinte à la liberté de tous ceux qui sont engagés dans ces pratiques, que ce
soit du côté des praticiens que de celui des patients.
Ce projet n’est
pas seulement l’affaire de nos collègues et amis belges du Kring voor
Psychoanalyse van de NLS, de l’ACF-Belgique et de l’Ecole de la Cause
Freudienne. Il est aussi l’affaire de ceux qui œuvrent pour que ces pratiques
continuent de traiter la souffrance de femmes, d’hommes et d’enfants qui y ont
recours.
C’est pourquoi nous apportons notre
soutien inconditionnel à ceux qui combattent pour que ce projet ne détruise pas
ce qui fut acquis de haute lutte et avec discernement, et pour que le cadre
légal des pratiques de la parole ne soit fait ni de contrainte, ni d’exclusion.
Le combat qui s’est à nouveau engagé est plus que jamais le nôtre, au regard de
ce que nous partageons de plus vif dans notre Ecole, la NLS, soit l’avenir de
la psychanalyse au sein de l’Europe.
Président: Yves
Vanderveken
Vice-présidente:
Lilia Mahjoub
Communiqué
Two years ago we
followed with great attention the consultations which took place in Belgium on
the law regarding mental health care professions and their outcome in a vote
that not only did not exclude any of them, but also testified to a compromise,
a rightly found balance even, between diverse tendencies and which especially
recognized the place of exception of psychoanalysis and its differentiation
from psychotherapy.
Today, we are
deeply concerned due to the putting into question of this law and because of
the new project secretly [catimini] developed by a Belgian politician,
which proves to be -in the most arbitrary manner possible-, a senseless attack
against the practices of speech. This is nothing but an unprecedented
regression with regards to what was won by dint of exchanges and constructive
debates.
This project,
based on a scientist ideology and advocating authoritarian methods, is a
bringing into line of practices where freedom of speech is a fundamental
principle for them to be exercised.
This project
violates the freedom of all those engaged in these practices, both of
practitioners and patients.
This project is
not only the concern of our Belgian colleagues and friends of the Kring voor
Psychoanalyse van de NLS, the ACF-Belgium and the School of the Freudian
Cause (ECF). It is also that of those who work so that these practices will
continue to treat the suffering of men, women and children who access and use
them.
That is why we
give our unconditional support to those who fight for this project not to
destroy what was responsibly and hardly won, and for the legal framework for
practices of speech not to be made of constraint or exclusion. The struggle
that has once again arisen is our own, today more than ever, in terms of
what we share of more important in our School, the NLS, namely, the future of
psychoanalysis in Europe.
Président: Yves
Vanderveken
Vice-présidente:
Lilia Mahjoub
Contre
le projet de loi sur les professions
de la santé mentale !
"Le
bien dire vaincra"
3.765
amis de la liberté ont déjà signé
la pétition à 16:57 !!
Tradition
européenne et éthique contemporaine
de la singularité
Par Jean-Daniel
Matet
Psychiatre et
psychanalyste à Paris, praticien hospitalier honoraire,
Président en fonction
de l’EuroFédération de Psychanalyse
C’est au nom d’un
vide juridique qu’un homme politique [1], en 2003 en France, chercha à obtenir
une réglementation des psychothérapies. La bataille fut vive, mais après coup,
on peut dire qu’une certaine raison a prévalu dans ce texte qui a renoncé à
légiférer dans un domaine où les arguments sont techniques et où les amalgames
sont dangereux dans un champ fragile par essence, parce qu’il concerne
l’intimité de ceux qui se confient aux praticiens. Tout un chacun peut avoir un
point de vue sur la folie, sur les manifestations psychiques, les symptômes qui
affectent l’âme ou le corps des uns et des autres, point de vue d’autant plus
radical qu’il concerne un jugement sur un autre qui nous épargnerait de s’en
savoir affecté. Pour autant, cette opinion fait-elle loi ? Peut-on imposer à
chaque citoyen la manière de profiter ou de pâtir de l’existence, la façon de
manger ou de boire, de se vêtir ou de parler ? Le législateur, dans sa sagesse,
marque seulement la limite de comportements déréglés par des modes de
jouissance qui nuisent à la sécurité des autres citoyens (conduite en état
d’ivresse, menace pour la santé par le tabac ou les drogues…).
Pourquoi la
majorité au pouvoir en Belgique veut-elle revenir sur une loi équilibrée
approuvée par une majorité des professionnels il y a moins de deux ans ? Madame
la Ministre chercherait-elle à créer un vide juridique en posant les jalons
d’un texte à préciser plus tard ? La majorité gouvernementale belge
prépare-t-elle ainsi l’éradication de toutes les pratiques psychothérapeutiques
par la parole, et psychanalytique de surcroît ? Ne vous en mêlez pas, me
dira-t-on, c’est un problème de politique intérieure belge, dont on ne peut
masquer qu’il prend des allures de revanche après un changement de majorité, où
les minorités agissantes d’hier entendent bien gagner aujourd’hui. Comment ne
pas saisir que tout ce qui se passe aujourd’hui en Europe ne concerne pas
seulement ce qui se passe dans son pays, mais prend des allures de test ici ou
là, où le lobbying cherche les points faibles des mesures prises localement
pour avancer ses pions ailleurs ?
La rigueur
scientifique est souvent sollicitée pour discréditer les pratiques de la
parole. Cet argument cherche à ruiner toute tentative de sortir du champ des
sciences dures ou des sciences expérimentales pour rendre compte des symptômes
humains et de leur traitement. Mais qui peut soutenir la radicalité d’une telle
position, qui peut affirmer que la toxicomanie ou les troubles alimentaires ne
sont que l’effet d’un dysfonctionnement biologique ? L’entreprise DSM a tenté
de donner, à travers la communauté des psychiatres américains, un tel
instrument de diagnostic à portée universelle. « Trente-cinq ans plus tard – de
l’avis même de Robert Spitzer [2] et de son successeur à la tête du DSM, Allen
Frances –, le bilan est loin d’être positif. La simplification de la démarche
diagnostique a entraîné une perte considérable des connaissances cliniques chez
les praticiens car le DSM III et les suivants sont devenus les manuels de
référence pour la clinique et l’enseignement alors que le DSM III était conçu à
l’origine pour la recherche pharmacologique et les statistiques
épidémiologiques. Par ailleurs, la mise en coupe réglée comportementale des
symptômes les a transformés en cibles pour des médications ouvrant toute grande
la porte à des conflits d’intérêts et à des sur-prescriptions. Nous avons pu
observer que tous les comportements et toutes les émotions sont, petit à petit,
entrés dans le champ de la pathologie avec une psychiatrisation outrancière de
la vie quotidienne, aboutissant à une sur-prévention et à un sur-diagnostic, en
particulier chez les enfants. On ne compte plus les fausses épidémies
déclenchées par le DSM (Troubles bipolaires, Autismes, Trouble déficitaire de
l’attention, etc.) Tout cela alors que le DSM « n’a aucune validité scientifique
établie, ses diagnostics reposant sur de simples consensus d’experts. » [3]
Les chercheurs en
neuropharmacologie y ont vu un temps la possibilité de disposer d’un outil
commun pour les experts, pour les praticiens et pour les patients eux-mêmes.
Alors que la version V est parue, l’échec de cette démarche est souligné par un
grand nombre et les crédits alloués à la recherche neuro-psychopharmacologique
disparaissent. Certains même, des plus scientifiques [4], mentionnent les
études qui invalident l’efficacité réelle des antidépresseurs.
Pour pratiquer la
psychiatrie, je ne conteste pas radicalement l’effet des psychotropes, mais
nous apprenons à en relativiser les indications et à constater que cet effet
est corrélatif à la manière dont l’administration du produit, ses bénéfices ou
inconvénients, sont commentés et accompagnés. La question des preuves avancée
sur les traces de l’EBM [5] comme la méthode scientifique par excellence pose
problème en psychopathologie. Dans un débat récent [6] – le 18 avril dernier –,
convoqués par Patrick Landman, président de STOP-DSM, six « psys » –
professeurs de psychiatrie ou de psychopathologie, psychanalystes – échangent
entre eux et avec la salle, sur le modèle des débats du Maudsley’s Hospital
qui ont fait autorité, sur la portée de la preuve en psychiatrie. Tous
s’accordent à considérer la spécificité du facteur subjectif qui relativise la
preuve dans son caractère scientifique. Effets psychotropes et effets de la
parole peuvent venir au rang de preuves, mais la démonstration reste biaisée.
Il apparaît donc
que l’attachement à la preuve façon EBM dans le champ de la psychopathologie
ressort plutôt de la croyance dans la nécessité d’inclure les psychothérapies
dans le champ universitaire et de n’en faire qu’un appendice spécialisé de la
médecine, alors que la preuve ponctuelle apportée par telle ou telle technique
ne dépend pas d’un savoir universitaire mais d’un champ de pratiques où les
associations de formations sont les mieux placées pour en défendre preuves et efficacité.
De plus, pourquoi vouloir faire peser sur les budgets publics, particulièrement
ceux de la santé qui presque partout en Europe sont en souffrance, la charge de
pratiques qui ont trouvé dans leur histoire récente un certain équilibre entre
l’offre et la demande ? Certains psychologues, apprentis sorciers, cherchent un
remboursement de leur acte professionnel par l’assurance maladie, mais ils
doivent savoir qu’ils se précipitent dans un piège dont ils ne sortiront pas.
Ils deviendront les agents d’une institution médicale qui cherche à réduire ses
coûts et à confier aux non-médecins les tâches qui leur revenaient. Ils
deviendront les exécutants d’un dispositif médical où ils n’auront pas voix au
chapitre.
La prise en charge
de certaines psychothérapies a déjà été obtenue auprès de certaines Mutuelles
ou Caisses d’assurance maladie ; vouloir la généraliser, c’est vouloir la faire
disparaître. La puissance publique n’a pas les moyens de proposer la prise en
charge de toutes les psychothérapies, et sous couvert d’en proposer le
remboursement, elle annonce sa disparition pour n’en financer qu’une petite
part.
Les traitements
par la parole sont solidaires d’une conception de la psychopathologie et de la
psychiatrie qui trouvent leurs racines dans l’histoire européenne à travers
différents pays. Sans vouloir expliquer tous les passages à l’acte en référence
à la radicalisation islamique, rappelons-nous que la contradiction apparente
entre l’orientation homosexuelle de l’assassin d’Orlando et sa haine des gays
peut trouver sa logique dans une clinique qui aurait pu éclairer sa dérive
radicale et inquiéter son entourage, au point de lui proposer des soins. Il y a
quelques années, dans la banlieue parisienne, nous avons reçu de tels patients,
prévenant ainsi leur passage à l’acte.
Les psychiatres
savent bien qu’il n’y a pas d’incidence immédiate de la suspension de leurs
moyens d’agir. Elle ne survient que plusieurs années après, comme nous l’avons
vu en Italie, comme nous le voyons en France, à constater le nombre
impressionnant de personnes sans domicile fixe qui refusent les mesures
sociales qui leur sont proposées.
Madame la Ministre, ne trouez pas ce tissu de dispositifs de soins et
d’accompagnement qui met tant de temps à se déployer. Nos pratiques interpellent
chacun au niveau éthique de son savoir-faire. Les moyens de régulation de ces
pratiques existent à travers les ordres professionnels ou les associations
reconnues d’utilité publique qui garantissent la formation. Pourquoi détruire
ce maillage fin et adéquat qui respecte la possibilité pour chacun de faire
entendre et de traiter ce qui le fait souffrir ou l’égare ?
Notes
[1] Accoyer
Bernard, Député chef du groupe RPR à l’Assemblée nationale française puis
président de l’Assemblée de 2007 à 2012.
[2] Spitzer Robert, Président de la Task Force du DSM III, mort en 2015.
[3] Landman Patrick, sur le blog de STOP-DSM, après la mort de Robert Spitzer.
[4] Gonon F., « Qu’appelle-t-on une preuve en psychiatrie ? », le 8 avril 2016.
[5] EBM : Evident Based Medicine, traduit par « Médecine par les preuves ».
[6] Les débats publics de la psychiatrie d’aujourd’hui et de demain, «
Qu’appelle-t-on une preuve en psychiatrie ? », le 8 avril 2016 avec Francis
Drossart, François Gonon, Bernard Granger, Éric Laurent, Antoine Lesur, Denis
Leguay.
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La situation préoccupante
concernant le projet de loi sur les professions de santé mentale en Belgique
qui doit être voté prochainement est portée à mon attention.
Alors qu’en 2014 une première
loi avait été votée reconnaissant la place d’exception de la psychanalyse, le
projet actuel vise à défaire cette loi en vue d’uniformiser et de soumettre le
champ psy aux seuls médecins, psychologues et orthopédagogues. Par ailleurs,
cette loi veut soumettre les pratiques de soins par la parole à l’idéologie de
l’Evidence Based Pratice.
Au nom de l’École de la Cause
freudienne, j’exprime mon soutien sans faille à l’action en cours des membres
de l’ECF et de l’ACF-Belgique visant à combattre cette offensive qui porte
atteinte aux libertés les plus fondamentales.
Paris, le 14 juin 2016
Christiane Alberti,
Présidente de l'Ecole de
la Cause freudienne
4.851
Plus de
22.000 !
signatures sur
l’ensemble des pétitions initiées par des professionnels du champ psy – tant
néerlandophones que francophones
Nous n’avons
rien à perdre
par Gil Caroz
LQ :
Pour l’opinion éclairée, en Belgique comme en France, la situation de la
psychanalyse était désormais réglée, donnant en Belgique comme en France aux
Écoles et Sociétés de psychanalyse le soin de décider à qui elles confient la
tâche d’exercer cette profession singulière. Que s’est-il passé ?
Gil
Caroz : En effet une loi sur les professions de santé mentale a
été votée à Bruxelles en avril 2014 dans le cadre d’un mandat gouvernemental de
large coalisation de centre gauche. Outre le fait que cette loi, assez subtile,
prenait en considération la complexité des offres de soins
psychothérapeutiques, elle reconnaissait la spécificité de la psychanalyse, en
considérant qu’elle n’était pas concernée par cette loi. Ainsi, la garantie de
la formation du psychanalyste est restée en Belgique dans les mains des Écoles
de psychanalyse. On constate aujourd’hui que le débat qui a précédé cette loi,
et dans lequel nous étions très actifs, a eu pour effet d’ancrer dans l’opinion
belge une distinction entre la psychothérapie et la psychanalyse. On peut
d’ailleurs lire et entendre dans les médias que la confusion se produit de
moins en moins.
Or, depuis lors, des
élections ont eu lieu : en automne 2014, un nouveau gouvernement est
venu au pouvoir, composé cette fois d’une large majorité de droite
essentiellement néerlandophone. Un nouveau projet de loi a été élaboré dans le
secret, à partir d’avis « d’experts » et sans représentation adéquate
des praticiens du terrain.
À peine la loi
précédente était-elle votée, et sans même qu’elle ait pu entrer en vigueur, le
nouveau projet de loi, qui sera soumis au vote dans moins d’une semaine, vient
défaire l’équilibre délicat qui avait été obtenu. Il s’agit de mettre un champ
compliqué au pas d’une « simplification » : tous les
« psy » dans le même panier.
Par ailleurs, ce
projet de loi entend supprimer le titre de « psychothérapeute », en
réduisant cette pratique à un « acte clinique » qui doit répondre aux
critères scientistes de l’Evidence Based Practice (pratique fondée
sur des résultats prétendument empiriquement et statistiquement contrôlés), et
en soumettant le domaine des soins psychiques aux seuls médecins, psychologues
cliniciens et orthopédagogues titulaires d’un master. L’hégémonie absolue des
universités sur ces nouvelles procédures de formation s’imposerait à tous –
comme si un diplôme valait garantie pour une pratique dans le champ psychique.
Les motivations de
ce rapt par le nouveau législateur sont multiples. Le conflit communautaire y
joue un rôle. C’est une ministre flamande qui détricote une loi d’une ministre
wallonne. Mais derrière ce confit communautaire, il y un confit idéologique,
entre le scientisme anglo-saxon et une tradition d’humanisme culturel latin. À
cela s’ajoute le corporatisme des psychologues cliniciens orientés par les TCC
(techniques cognitivo-comportementales) et des questions financières liées au
remboursement des soins.
LQ :
Alors que l’Evidence Based Medecine semble partout en déclin y
compris aux USA où le DSM lui-même s’effondre (1), pourquoi le ministère belge
de la Santé veut-il soudain y soumettre les psychothérapies ?
G.C. : Nous
sommes sans doute dans un moment historique qui précède celui des USA sur ce
plan. La liberté d’action que nous avons eue jusqu’ici ne permet pas encore de
voir les effets de destruction discursive que produit le scientisme. Le projet
de loi sur les professions de santé mentale s’inscrit dans le fil de la
déclaration de constitution du gouvernement actuel qui stipule enfin pouvoir
opérer les réformes empêchées par le pouvoir wallon de gauche qui régnait sur
le pays pendant de longues années. C’est aussi un symptôme de la réaction du
gouvernement au vacillement social, économique et sécuritaire que nous vivons
actuellement en Belgique et ailleurs.
Le nouveau
gouvernement opte pour des solutions simplistes et autoritaires, qui rassurent
dans le court terme, et préparent un désastre à long terme. Ceci, en jetant de
la poudre aux yeux de la population, assurant que dorénavant ce champ sera
nettoyé des « charlatans », que les services seront moins coûteux,
plus rapides et « prouvés scientifiquement ». Car en effet, l’evidence
based donne l’impression que everything is under control,
que tout problème a sa solution finale et définitive, et que la science en est
la garantie. Toute personne qui a un peu d’expérience de vie sait qu’il n’y a
pas de solutions sans failles, que l’absence de solution définitive est
inhérente à tout problème. Les politiciens, artisans d’une « pratique
impossible », le savent autant que les psychanalystes. Mais ils agissent
comme si ils ne le savaient pas. Est-ce parce que ce savoir est insu
d’eux-mêmes, ce qui relèverait de l’inconscient, ou est-ce par cynisme et
populisme qu’ils agitent ce rêve d’une solution définitive ? Quoi qu’il en
soit, ils agissent selon la maxime de Henri Queuille selon laquelle « la
politique n’est pas l’art de résoudre les problèmes, mais de faire taire ceux
qui les posent. »
LQ :
Comment les praticiens belges francophones et néerlandophones entendent-ils
réagir à la nouvelle loi d’obédience scientiste, c’est-à-dire qui n’a de la
science que l’apparence ?
G.C. : Il n’y a
pas une réaction Une, ce qui confirme la complexité du terrain que
ce projet de loi méconnaît. Parlons tout d’abord de nous. Ce projet de loi ne
parle pas de la psychanalyse, et on est en droit de penser que ce qui a été
obtenu par la loi votée en 2014 reste en vigueur. En tout cas, comme je l’ai
mentionné plus haut, il est bien clair dans l’esprit d’un grand nombre que la
psychanalyse ne peut pas être concernée par une loi qui règlementerait la
psychothérapie. C’est ce point que nous, psychanalystes francophones et
néerlandophones du Champ freudien, voulons continuer à marteler.
Par ailleurs, nous menons un combat contre cette loi pour des raisons éthiques.
Une loi qui s’attaque à la parole et au droit à la singularité s’attaque aussi
à la psychanalyse, même si elle ne la menace pas sur le plan juridique – ce qui
est encore à vérifier. Notre combat s’appuie sur le discours de la logique du
pas-tout et contre la logique totalisante qui écrase les particularités (2).
D’autres praticiens, organisés dans des associations de psychothérapeutes,
mènent également un combat contre cette loi pour des raisons corporatistes,
voulant protéger la reconnaissance du titre de psychothérapeute afin de
s’attribuer une part du gâteau des remboursements.
Certains praticiens en Belgique sont satisfaits de cette loi. Il s’agit des
psychologues qui s’orientent du scientisme et des TCC, pratiques de dressage
qu’il faut considérer comme étant hors du champ des pratiques de parole. Il
s’agit dans ce cas du cynisme corporatiste d’un collectif qui voit satisfaire
ses intérêts. Ces psychologues sont heureux d’obtenir un statut équivalent à
celui des médecins. Ainsi cette loi fait-elle le bonheur de l’Administrateur
délégué de la Fédération belge des psychologues justement parce que les psychothérapeutes
ne seront pas reconnus comme exerçant une profession distincte de celle des
médecins. Ce n’est évidemment pas ainsi qu’il le dit. Le cynisme est poussé à
l’extrême dans une déclaration récente par rapport à ce projet de loi qui,
selon lui, « signifie que l’on opte résolument pour la qualité et la
protection du patient ».
En ce qui nous concerne, nous, psychanalystes dans le Champ Freudien, sommes
heureux d’être du côté d’une action vigoureuse. Nous considérons qu’à chaque
fois que le champ de la parole est attaqué, il faut se battre. Nous n’avons
rien à perdre, car nous ne demandons pas une reconnaissance de la part du
maître. Nous ne faisons qu’exiger un droit à l’association libre et la liberté
comme telle. De là, notre force.
-------------
1: Jean Charles
Troadec, « Talk Therapy », Lacan Quotidien n° 556.
2: Laurent E., Lost in cognition, Psychanalyse et sciences cognitives,
Nantes, éd. Cécile Defaut, 2008, p. 53
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néerlandophones que francophones
Pratiques
basées sur preuves
(evidence based practices)
et le
rejet de la subjectivité
Entretien entre le
Professeur Dr I. Devisch
(membre du Conseil
Supérieur de la Santé)
et Nathalie Laceur
Extraits[1]
Ignaas Devisch est
professeur d’éthique, de philosophie et de philosophie médicale à l’Université
de Gand et à l’École supérieure « Artevelde ». En vue de la
parution de son livre « Ziek van gezondheid. Voor elk probleem een
pil ? » (« Malade de la santé. Une pilule pour chaque
problème ? »), en 2013, il a récolté une série d’avis critiques,
issus des domaines de la médecine, la psychologie et la sociologie, qui
soulignaient la médicalisation de notre société. Depuis mars 2014, il fait
partie du Conseil Supérieur de la Santé.
« Concernant les problèmes psychiques,
qui sont
toujours complexes,
le
modèle evidence based est bancal »
Modèle evidence based et le
rejet de la subjectivité
NL : Il existe diverses
manières d’examiner l’efficacité d’une pratique. Le Conseil Supérieur de la
Santé donne la préférence aux statistiques de la méthodologie evidence based
et recommande donc les pratiques evidence based. Celles-ci sont, je
cite : « des pratiques validées par la recherche ou des pratiques
basées sur les résultats ou les preuves se référant à la littérature
scientifique ». [2]
ID : Concernant la notion evidence
based, j’ai souligné il y a quelques années que l’on suppose que le E
de Evidence peut être automatiquement transféré à un patient unique[3]. Sans doute peut-on
tirer des conclusions générales, mais il reste qu’il y a un patient, et que
celui-ci est unique, singulier, qu’il représente toute une richesse que les
chiffres, seuls, ne peuvent pas traduire. Le singulier ne peut pas se caser
dans une série statistique, et pour moi, c’est là que se situe l’erreur majeure
dans le raisonnement. Dès que l’on fait de la recherche evidence based
concernant les problèmes psychiques, qui sont toujours complexes, le modèle evidence
based est bancal. L’application du modèle EB aux problèmes
psychiques mène, à mon sens, à l’appauvrissement de l’aide, puisque toute la
pointe du problème individuel manque. Expertise based pourrait être un
complément bienvenu à l’evidence based. Les deux ne doivent pas
s’exclure ; ils peuvent être complémentaires.
NL : En fait, voulez-vous
dire que le modèle evidence based est impossible à appliquer pour
définir ce que sont les « bonnes pratiques » ?
ID : Non, ce n’est pas ce
que je dis. Je dis qu’il faut considérer la diversité des soins et je dis que,
sauf évidence, il y a encore beaucoup d’autres choses qui rendent possible une
intervention psychosociale justifiée : établir la confiance, parler,
développer l’expertise clinique. Ce serait tout de même absurde de ne pas tenir
compte de tout cela. Cela ne me fait pas problème que l’on fasse de la
recherche dans sa généralité en termes de : y a-t-il quelque chose à dire
en général à propos d’un certain trouble ? Mais cela ne dit encore rien à
propos de toutes ces personnes particulières que l’on classe dans la catégorie
de ce trouble. Il faut partir du patient. Tant que l’on ne prend pas en
considération la composante du vécu, la subjectivité de la personne, on ne
pourra jamais faire plus que combattre quelque chose au niveau du symptôme. On
peut parfaitement combattre un symptôme pendant longtemps, mais cela ne résout
rien. Pouvons-nous, au vingt et unième siècle, voir enfin que cette
subjectivité est un élément constitutif de la science et non un obstacle, car
c’est de cela qu’il s’agit : la subjectivité est constitutive d’une bonne
science. Dès que l’on travaille avec des personnes, on a affaire à de la
subjectivité. Point.
NL : Pourtant, dans le
Rapport du Conseil Supérieur de la Santé la « scientificité » et le
modèle evidence based vont toujours de pair. La conséquence en est que
la psychanalyse, qui, en effet, ne manie pas la méthodologie evidence based pour
évaluer sa pratique mais opte sans détour pour la méthode clinique, et plus
précisément pour la singularité de l’étude de cas, est écartée comme « non
consensuelle ».
ID : Oui, c’est une chose
que jamais je ne soutiendrais, parce que la science est davantage que le modèle
evidence based, et parce que la science vit aussi de dissensus – et
certainement dans le domaine médical. Dès que l’on travaille avec des êtres
humains, il y a un facteur d’incertitude ou de non définissable et, qu’on le
veuille ou non, nous avons à nous en accommoder. Exclure une pratique qui prend
le vécu subjectif comme point de départ pour toute forme d’intervention
psychosociale… je ne sais pas ce que l’on veut obtenir avec cela. Cette pratique
doit évidemment aussi pouvoir se légitimer, elle doit pouvoir montrer une
efficacité clinique et doit s’inscrire dans le champ de la discussion
scientifique. Ce n’est qu’ainsi qu’elle pourra se distinguer de toutes sortes
de circuits alternatifs qui veulent toujours se dérober à cet examen sous
prétexte que quelque chose marche parce qu’on y croit. Si la psychanalyse se
prend elle-même au sérieux, elle doit fortement s’en distancier. De plus, je le
répète, nous devons toujours supposer que le terrain psychosocial présente un
« objet de recherche » tellement complexe qu’il n’atteindra jamais
d’emblée un consensus, sauf s’il amène artificiellement quelques facteurs dans
un laboratoire, mais en quoi cela nous avancerait-il ? Il n’est pas
difficile de trancher dans un débat concernant la gravité terrestre, mais par
contre, lorsqu’on développe la science, l’expertise concernant ce que vit un
être humain, il faut prendre cet être humain comme point de départ. Quelle
folie de penser que l’on pourrait y échapper !
Traduction Monique
de Buck
Notes
[1] L’entretien dans son
intégralité est à lire dans INWiT 12, novembre 2014 (NL).
[3] (2009) Devisch
Ignaas and Murray Stuart, We hold these truths to be self-evident:
Deconstructing ‘evidence-based’ medical practice (Journal of Evaluation in
Clinical Practice, 15: 950-964)
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