[15] Miller J.-A., ibid.
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Vous lirez ici le compte-rendu des cartels
électroniques de la NLS, pour l’année 2013-2014, par
Despina Andropoulou. S’il transmet in vivo la
vie du cartel électronique dans la NLS et les effets
d’élaboration qu’il produit, il constitue de fait un
document théorico-clinique de premier-plan, extrait
d’un travail de recherche remarquable. Remercions Despina Andropoulou,
responsable des cartels dans le CE sortant, pour ce
travail à la fois de nouage et de resserrage précieux. Il ne peut que produire le désir
de cartel dans notre École.
Yves Vanderveken,
Président
*****
Le grand secret de la psychanalyse : la
forclusion généralisée
«
Le grand secret [de la psychanalyse], c’est – il n’y a
pas d’Autre de l’Autre »1.
Cette phrase épinglée par J.-A. Miller dans le
Séminaire VI, Le désir et son interprétation,
nous servira de boussole pour présenter le travail
préparatoire des cartels vers le Congrès de la NLS de
cette année, en ayant comme fil conducteur de « mettre
cette révélation à l’épreuve de la clinique »2.
Le
thème du Congrès « Ce qui ne peut se dire. Désir,
fantasme, réel » « se déploie entre ce qui ne peut se
dire qu’entre les lignes et ce qui reste impossible à
dire »3. Autrement dit, le fait que le
signifiant fasse défaut dans l’Autre [S(A barré)],
nous amène à constater qu’il y a « une inadéquation du
réel et du mental » et par conséquent, « du réel on ne
peut que mentir »4. Cette condition est
éprouvée par le sujet parlant comme un trauma, duquel
il se défend soit par l’expérience désirante du
fantasme, soit par le délire ou encore par une
invention sinthomatique, parfois précaire. De toute
façon, on a toujours affaire au rapport du sujet avec
un objet de nature – plus ou moins – voilée qui
constitue sa vérité5. Ceci dit, on se
trouve plutôt dans un continuum où l’extension du
fantasme fondamental du névrosé et du pervers vers le
délire fait que la névrose et la psychose peuvent être
considérées comme deux modalités d’organisation
psychiques analogues, chacune apportant le secours
d’un discours établi afin de faire face au dérangement
de la jouissance6.
Le point panique devant l’indicible dans
l’Autre
Dans
les 14 vignettes présentées par nos collègues, nous
allons d’abord repérer ce qui a constitué dans chaque
cas le « point panique »7 du sujet,
à savoir le moment où dans sa vie il a été amené à «
faire face à son existence », le moment où, hilflos,
il a été gommé, démuni du soutien que la garantie de
l’Autre lui procurait jusqu’alors d’une certaine façon
pour ordonner son monde.
La
lâcheté morale vécue comme tristesse conduit
une jeune femme à s’interroger sur sa position
subjective, sur sa responsabilité à l’égard de son
désir. Plus précisément, le désir de savoir la cause
pour laquelle elle choisit des hommes qui sont déjà en
relation avec d’autres femmes, conduit T. chez
l’analyste au moment où le fantasme de l’enfant modèle
qu’elle était pour l’autre vacille et que les idéaux
s’écroulent, laissant la place à l’insatisfaction, le
dégoût et la perte du sens de la vie (cas 9).
D’autres
sujets, comme nous avons pu le constater, sont
confrontés au trou que l’inexistence de l’Autre laisse
ouvert, notamment au moment de la séparation
avec un être bien-aimé. Dans un des cas, le sujet
reste perplexe devant les pensées encombrantes (cas
7), dans un autre, il constate son incapacité à donner
une réponse qui concernerait son désir, puisque
jusqu’alors il agissait selon la volonté de l’Autre
dont il était l’objet (cas 1). La séparation marque
pour un autre sujet le début d’une période de
débranchement de l’Autre et du laisser tomber du
rapport au corps (cas 10) tandis que, juste après sa
séparation avec un compagnon qui la hantait à travers
des insultes visant son image du corps, une jeune
femme régresse jusqu’à en arriver au stade du miroir
et que la jouissance prenne une forme symptomatique
ravageante (cas 12).
Dans
deux autres cas, les sujets se trouvent face au trou
qu’ouvre la question du sexe et de la mort au moment
de la séparation avec leurs enfants lorsque ceux-ci
atteignent l’adolescence. Ainsi, une mère, confrontée
à la jeune femme que sa fille est devenue, affronte
l’énigme de la sexualité à travers cette autre
femme8 « qui ne parle pas, est très belle,
apathique… » et qui l’interroge par rapport à sa
propre sexualité réduite à la signification procurée
par la science ; pour elle il ne s’agit que d’hormones
(cas 5). Dans le même registre, le fait que le fils
ait abandonné le domicile pour entrer en internat au
collège éveille le souvenir de la fête ratée de
l’anniversaire des 15 ans de sa mère. Intégrer ce
ratage dans le discours fait émerger des tabous
familiaux qui en tant que taches noires étouffent
la position du sujet comme être sexué (cas 11).
L’énigme de la sexualité jaillit chez un autre sujet
sous la forme de l’idée obsédante qu’il est gay, idée
qui le tourmente chaque fois qu’il est rejeté par une
femme (cas 13), tandis que pour une adolescente de 14
ans ce sont les paroles sorties de la bouche
maternelle qui deviennent pur réel. Puisque le sujet
n’a pas accès à la métaphore, le mot est la chose9
qui le vise (cas 4).
Dans
un autre registre, la séparation avec l’Autre inentamé
se réalise avec l’arrivée d’un nouveau-né dans la
famille. La rencontre du sujet avec le manque dans le
réel, suite à sa propre destitution en tant que
phallus imaginaire de l’Autre maternel, suscite la
déréliction de l’être (cas 2).
D’autres
facteurs qui mettent à jour l’indicible sont les
événements de vie qui révèlent l’inconsistance de
l’Autre et dévoilent la jouissance crue (menace de
mort, disparition et meurtre du frère, exil forcé,
demande d’asile) faisant de l’injustice un
véritable trauma obligeant le sujet à faire le
parcours de l’impossible. L’apparition de Dieu, en
tant que seule garantie qui puisse mettre de l’ordre
dans son monde, semble être, à ce moment, insuffisante
pour voiler le réel (cas 3).
Modes de rébellion du ça
Nous savons que depuis Freud, névrose
et psychose sont l’une comme l’autre des
expressions de la rébellion du ça contre le monde
extérieur, de son déplaisir, ou si l’on veut, de
son incapacité à s’adapter à la nécessité réelle,
à l’Άνάγκη10. Les formes que prend
dans chaque cas cette rébellion du ça contre
le déplaisir que suscite la rencontre avec la barre
de l’Autre et la faille qui s’ouvre pour le sujet,
méritent donc toute notre attention.
Nous
constatons que le cauchemar est un masque du
réel dans sa version d’insupportable que l’on
rencontre souvent dans les cas présentés. La pulsion
de mort y est véhiculée par des images exemplaires
pour leur férocité (scène d’amputation dans les cas 3
et 14, d’étouffement dans le cas 3) annonçant la mort
imminente du sujet (cas 5).
Dans
d’autres cas, c’est l’expérience de l’angoisse
– en tant qu’affect qui ne trompe pas et indice de
l’objet que le sujet est pour l’Autre – qui est le
signe majeur du réel épouvantable. Sous forme d’attaques
de panique et d’étouffement, l’angoisse
indique la fixation, voire la pétrification du sujet
dans une position d’objet absolu de l’Autre dont le
désir est énigmatique (cas 11, cas 13). Cette position
d’assujettissement provoque dans d’autres cas la colère
et le sentiment du vide intérieur aux
moments de la séparation (cas 5, cas 10). Dans
certains cas, le sujet est souvent paralysé, sans
énergie, inhibé, désintégré (cas
10), desinstitué (cas 8), devant le trou du
symbolique rendant explicite le statut de déchet qu’il
est pour l’Autre.
La
lâcheté morale qui va jusqu’à la mélancolie est
souvent repérée dans des cas où le surmoi accable le
sujet à travers certains signifiants – « Tu es
médiocre, t’es rien, t’es personne » (cas 1), « Tu
deviendras comme ton père, compulsif et violent (cas
13) » – qui ont pour effet un excès d’assignation de
l’être, fixant le sujet sous un signifiant maître
massif, supposé le représenter univoquement au lieu de
l’Autre. Ces énoncés qui prétendent lever le x du
désir de la mère et qui souvent sont formulés par
elle, ravalent le sujet et le pousse à s’identifier à
un objet du fantasme maternel, objet d’un désir de
mort11.Nous voyons l’illustration de cette
pétrification mortifiante dans le cas de l’adolescente
pour qui les paroles de sa mère qui dévoilent la
volonté de la grand-mère paternelle de lui donner la
mort, sont prises par la jeune fille comme des énoncés
absolus, hors dialectique, suscitant une angoisse de
mort dans le réel (cas 4).
Par
la suite, le retour du symbolique dans le réel est
repérable dans les cas d’hallucinations
et les phénomènes de corps. C’est le cas
de l’articulation des « mots vilains et sales » dont
le sujet n’est que le témoin. Il s’agit de mots
venant, du désert d’une instance désubjectivisée où «
s’avoue l’absence du sujet dans le ça »12 (cas
4). Le surgissement des voix des proches qui
accompagnent le sujet dans sa solitude (cas 3), le
tremblement du corps, en tant que satisfaction
étrangère au corps, chaque fois que le sujet trouve le
bon mot (cas 5), l’expérience de l’autonomisation des
parties du corps (cas 6), sont des phénomènes du
retour de l’indicible, de ce qui a été forclos du
symbolique, dans le réel.
Le
symptôme est une réponse que le sujet construit
pour répondre à une réalité à laquelle il est toujours
impossible de s’adapter et, en même temps, il
constitue pour le clinicien une autre façon d’aborder
la pulsion dans chaque cas. Dans la psychose, le
symptôme répercute l’objet dans le réel13,
par exemple sous la forme d’une voix qui se met à
injurier, tandis que dans la névrose, le symptôme
établit une connexion entre un signifiant (S1) et
l’objet de la pulsion (a). Dans tous les cas, le
symptôme est un effet du symbolique dans le réel.
Dans
au moins trois cas, l’objet oral sous forme
d’anorexie, de boulimie et d’alcoolisme devient
l’objet réel auquel le sujet se raccroche aux moments
de déréliction. La boulimie constituerait un effort du
sujet pour combler le vide dans le réel (cas 2),
tandis que l’anorexie serait une façon de localiser la
jouissance permettant à la jeune femme de rester
vivante à travers les préoccupations qu’elle suscite14
et d’exposer aux regards des autres son enfer
intérieur (cas 12). Devant la peur de son
anéantissement, une adolescente réelise sa
volonté de « ne pas être un poids pour sa mère », et
se met à perdre du poids en suscitant en même temps la
réaction de l’Autre. C’est une façon d’exister pour
l’Autre – le cri de la mère et les disputes des
parents pour elle sont les moments où ils se
rappellent qu’elle existe – tout en incarnant l’objet
qu’elle est pour cet autre, un être pour la mort (cas
4). Une autre jeune femme qui est identifiée à la
jouissance paternelle, s’accroche à l’alcool pour
éviter la rencontre avec son propre désir.
L’identification à un homme raté, un loser
qu’elle veut sauver devient un fantasme qui la sépare
de la volonté maternelle envahissante, mais en même
temps l’amène au pire à travers des pratiques à
risques et des choix de partenaires qui l’abandonnent.
L’angoisse devant un homme qui pourrait la désirer
prend alors le relais du fantasme d’être sauvée par un
autre raté (failed) (cas 7).
Dans
un certain nombre d’autres cas, on constate l’effet
ravageant d’être l’objet d’un Autre intrusif et puis
de se laisser tomber, fait qui révèle la volonté du
sujet d’être l’objet exclusif de l’Autre (cas 5, 10).
Traiter l’indicible : modes de suppléance
et la fonction de l’analyste
Le
symptôme nous permet d’apprivoiser la jouissance dans
ce qu’elle a d’indicible15 mais nous
voyons bien que dans les cas de psychose, qui
concernait la grande majorité des cas présentés, il ne
parvient pas à limiter la jouissance ; le fait que la
jouissance reste non apprivoisée, illimitée, pousse le
sujet à d’autres inventions pour régler l’intrusion de
la jouissance. Dans le cas 2, l’introduction des
coupures par l’analyste a comme effet d’arrêter la
jouissance orale déferlée, tandis que dans le cas 7,
l’introduction de la figure paternelle dans le
discours de la patiente a aussi un effet d’apaisement.
Dans le cas 5, l’analyste devient l’exutoire à la
colère du sujet quand celui-ci n’arrive pas à
faire Un avec sa fille. L’analyse dans ce sens est un
lieu d’accueil de l’angoisse que suscite la rencontre
avec un autre vivant. Dans un autre cas, le fait
d’éloigner le sujet de la perplexité que les questions
sur l’identité sexuelle suscitent en elle et de
reconnaître son style de vie comme performance
selon les injonctions écrites (S1) et épinglées
partout dans son appartement sous formes de petites
notes, sont des moyens de stabilisation soutenus par
l’analyste (cas 6). Par contre, ce qui a revitalisé la
vie d’un autre sujet a été le fait de parler des
tabous familiaux qui jusqu’alors l’empêchaient de
tisser son histoire de filiation ayant des effets
d’inhibition majeurs (cas 11).
La
richesse des cas présentés ne peut, bien évidemment,
être épuisée dans ces quelques lignes de commentaire.
L’espace des cartels électroniques est un lieu non
seulement de présentation d’un travail clinique
important mais aussi de discussion et d’échanges,
voire de débat sur les questions que la clinique
contemporaine pose au praticien. La question du cartel
14 « La névrose a une structure particulière mais si
elle n’existe pas, est-ce que cela signifie
automatiquement qu’il s’agit d’une psychose ? » est
exemplaire des questions pertinentes que peut susciter
le cartel à plusieurs.
Je
tiens à remercier tous les collègues et notamment les
Plus-Un et les extimes qui ont soutenu et
contribué au travail des cartels électroniques de
cette année.
Despina Andropoulou
Responsable des Cartels de la NLS 2012/14
1 Lacan J., Le Séminaire,
Livre VI, Le
désir et son interprétation, Paris, éd. de La
Martinière, p. 353.
2 Miller
J.-A., Présentation du thème du prochain Congrès de
la NLS à Gand (mai 2014), exposé en clôture du XIe
Congrès de la NLS, « Le sujet psychotique à l’époque
Geek », Athènes, 19 mai 2013.
3 Holvoet D.,
Argument du XIIe Congrès de la NLS à
Gand.
4 Miller
J.-A., Choses
de finesse en psychanalyse, 2008/2009, inédit.
5 Lacan J., Le Séminaire,
Livre XI, Les quatre concepts fondamentaux de la
psychanalyse, Paris, Seuil, p. 10.
6 Tout le
monde délire : cartel avec Véronique Eydoux, José
Rambeau, Catherine Stef, Pierre Sidon, Dominique
Wintrebert (plus-un). Rédacteur : Dominique
Wintrebert.
7 Lacan J., Le Séminaire,
Livre VI, Le
désir et son interprétation, op. cit.,
p. 108.
8 Commentaire
de l’extime Luc Vander Vennet
9 Miller
J-A., « Clinique ironique », La Cause
freudienne, n° 23, février 1993, p. 5.
10 Freud
S., Névrose, psychose et perversion, PUF,
Paris, p. 301.
11 De Georges
Ph., Par-delà
le vrai et le faux, Vérité, réalité et réel en
psychanalyse, Éditions Michèle, Paris, 2013,
p. 181.
12 Lacan, «
Commentaire sur le rapport de Daniel Lagache », in Écrits,
Paris, Seuil, p. 666-667.
13 Miller
J.-A., Ce
qui fait insigne, cours du 3 juin 1987.
14 Commentaire
de l’extime J.-L. Monnier
15 Miller
J.-A., Ce
qui fait insigne, op. cit.