Le manichéisme fut considéré,
du fait de son immense succès à partir du troisième siècle, comme
l’ennemi principal du Christianisme et fut frappé par les lois prévues
contre les hérésies, bien que religion à part entière.
Tout commence avec Mani. Ayant reçu
la visite de l’Esprit saint, il sait qu’il doit convaincre un monde
incrédule que le cauchemar a déjà commencé. Pour rendre raison du monde
d’épouvante qui s’impose, selon lui, à la condition humaine, Mani
enseigne un dualisme que condamna l’orthodoxie naissante. La Terre est
le lieu de l’assaut lancé par les Ténèbres, principe du Mal, contre la
Lumière, principe du Bien. Il se fit ainsi le héraut du Deux. On raconte qu’accompagnant le souverain perse Shapur 1er dans sa guerre contre l’empereur romain Gordien III, Mani se serait trouvé face au héraut du Un-tout-seul
de l’époque, à savoir Plotin, qui, d’après une légende que l’on
croirait tout droit sortie de l’esprit d’un analyste en mal de
notoriété, aimait bien taper la baston pour se détendre entre deux
Ennéades. En vinrent-ils aux mains ? Le résultat aurait peu importé car
l’orthodoxie donna la victoire aux hérauts du Trois.
Afin de séduire les chrétiens, Mani
se présenta comme un apôtre de Jésus-Christ, puis comme le Paraclet,
l’Esprit saint dont la venue sur terre était annoncée dans les
Evangiles. Il pratiqua ainsi « l’entrisme, pour utiliser un concept
moderne »[1],
selon les termes même des bons auteurs ; usant d’une technique de
politique que devait suivre ses disciples, et d’autres, sans doute plus
lointains…
Mani déplut. Sa tête fut exposée aux
portes de la capitale perse. Seule. Freud n’en parle pas dans son
examen de ceux qui échouent du fait du succès[2].
Notre hérétique avait en effet eu le temps de former des disciples et
d’écrire des livres. Sa doctrine se diffusa en Europe, en Asie et
jusqu’en Chine. Ses disciples furent l’objet des persécutions qui sont
considérées comme « les plus violentes et les plus répétées de
l’histoire »[3],
menées par les romains, les chrétiens, et plus tard par les chrétiens
orthodoxes et même en Islam. Mais la séduction du dualisme manichéen
était trop forte. Au douzième et au treizième siècle, il inspirait
encore une multitude de sectes : albigeois, pétrobusiens, henriciens,
popelicains et cathares.
Le manichéisme eut dans ses rangs
quelques célébrités. Un certain Augustin reconnut avoir été « violemment
agité dans son adolescence » par la question du Mal et « poussé vers
l’hérésie »[4].
Il étudia le manichéisme pendant neuf ans avant d’en devenir
l’adversaire décidé et de raconter l’histoire de sa conversion dans un
des monuments de la littérature universelle. Il avait été pourtant un
manichéen conséquent. Ainsi Augustin sut s’indigner de voir un Élu, un
supposé pur selon la morale manichéenne, se retourner au
passage d’une femme légère et jolie en hennissant. « Ah ! Pour être
manichéen, je n’en suis pas moins homme ! », lui aurait rétorqué le
monsieur. Ce qui, soit dit en passant, n’est pas sans me faire penser
qu’on pourrait avoir, semble-t-il, beaucoup exagéré l’originalité des
œuvres du dénommé Jean-Baptiste Poquelin.
Preuve en tout cas que l’hérésie
pouvait ne pas épargner les plus grands des Pères de l’Eglise. Mais vous
en saurez plus si vous ne manquez pas le prochain épisode d’Hérétiques
consacré à Origène.
[1] Mayeur J.-M. & al., Histoire du christianisme. Tome II. Naissance d’une chrétienté (250-430). Desclée, Paris. p. 36.
[2] Freud, S. « Quelques types de caractère dégagés par la psychanalyse » 1916, in L’inquiétante étrangeté et autres essais, Paris, Gallimard, p.139 & sq.
[3] Mayeur J.-M. & al., op. cit., p. 36.
[4] Saint Augustin, « Du libre arbitre », in Œuvres, I, La Pléiade, Gallimard, p.413.
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