L'enfant et ses symptômes
Cycle CIEN en Bulgarie - 2013-2014
Compte-rendu du Premier module ’’Troubles du lien social chez l'enfant’’ à Sofia
Les 8 et 9 février 2014 a eu lieu à Sofia le premier
module de l’année du programme de formation ‘’L’Enfant et ses
symptômes’’, mis en place par La Société Bulgare de Psychanalyse
Lacanienne, le CIEN et l’Association ‘’Enfant et espace’’. Cela fait
quatre ans maintenant que Le Courtil et le CIEN sont nos partenaires.
Depuis le début de ce programme en Bulgarie, plus de 600 professionnels
de différentes institutions et centres de services sociaux travaillant
avec des enfants et leurs familles ont participé. Chaque professionnel
est invité et a la possibilité de présenter un cas de sa pratique qui
suscite des questionnements. Le laboratoire du CIEN en Bulgarie
’’L’enfant et ses symptômes’’ oriente ses travaux en prenant en
considération la particularité du réseau social bulgare. La Bulgarie,
membre de l’Union européenne, s’inscrit en effet, de façon déterminée,
dans une politique de désinstitutionalisation des enfants. Les
travailleurs sociaux, toujours en recherche de repères cliniques, ont
trouvé dans ce laboratoire un lieu d’élaboration qui permet
d’appréhender les difficultés du terrain. Dans ce contexte, en
2010-2011, le laboratoire du CIEN a choisi pour thème : Professionnels et parents : deux partenaires de l’enfant, en 2011-2012 : L’angoisse des mères : la réponse des enfants, en 2012-2013 : La psychose de l’enfant.
En tenant compte des thèmes qui ont été abordés les années précédentes,
le laboratoire a décidé logiquement de mettre au travail en 2014 la
question des Troubles du lien social chez l'enfant.
Le thème du premier module de cette année, portant
le titre ’’Un sujet autiste, au bord du lien social’’, a été abordé par
Guy Poblome (psychanalyste, membre de l’ECF et de l’AMP, actuel
président de l’ACF-Belgique, directeur thérapeutique au Courtil), qui a
attiré l’attention de l’auditoire sur la spécificité du travail clinique
orienté par la psychanalyse, à savoir comment apprendre par le sujet
lui-même la façon de l’accompagner en tant que sujet unique. Pour
illustrer cela à travers la pratique clinique, Guy Poblome a présenté
le cas d’Albert – un enfant qui a été accueilli au Courtil à l’âge de
trois ans et demi et qui a vingt ans aujourd’hui. Comment prépare-t-il
son départ de l’institution ? Le cas d’Albert est publié et peut être lu
dans Quarto 105 ( Se faire son ’’petit style de vie’’).
Guy Poblome a choisi d’introduire quelques éléments
théoriques à travers des points d’appui, illustrés dans le cas
d’Albert. Le travail avec ce garçon a été long et nous avons pu saisir
comment la construction pas à pas de sa relation subjective au bord du
lien social a été possible pour lui. Les observations cliniques, les
hypothèses et les démarches entreprises par les collègues au Courtil ont
non seulement attiré l’attention des participants dans la salle mais
aussi ont établi le fil conducteur des questionnements dans les sept cas
présentés par les professionnels bulgares lors du module.
Dans le cas d’Albert le sujet réussit à inventer des
stratégies pour pouvoir non seulement supporter mais aussi participer à
la construction d’une relation sociale à partir d’un bord et ainsi
avoir la possibilité d’établir un vrai style de vie. Pour élaborer cela,
Guy Poblome a utilisé comme référence le livre de Jean-Claude Maleval, L’autiste et sa voix.
Les observations cliniques faites par les différentes équipes du
Courtil dans leur travail avec Albert témoignent comment les adultes
ont pu devenir ses partenaires par rapport à ses inventions subjectives
et ceci durant plus de seize ans dans l’institution. A travers le cas
d’Albert et ce que Guy Poblome a apporté lors du Module, le public
bulgare a pu entendre et saisir quelques éléments clés des avancées
théoriques, référées à l’enseignement de Jacques Lacan :
· La
voix en tant qu’objet pulsionnel. Pourquoi Lacan dit que les autistes
sont des sujets plutôt verbeux, qu’ils parlent mais que nous avons de
la peine à les entendre, à donner une portée à ce qu’ils disent ?
· Un
retour de la jouissance sur le bord (Éric Laurent). Que signifie la
description de l’autisme qui fait référence au bord tel qu’Eric Laurent
nous en parle ? Comment la jouissance fait-elle retour notamment à cet
endroit-là – au bord ?
· Le
bord, en tant qu’il isole le sujet de l’Autre. Comme toute limite le
bord a deux côtés – une partie qui est l’intérieur, du côté du sujet, et
une partie qui est l’extérieur, du côté de l’Autre. Si nous suivons
Maleval, nous apprenons que le bord est une frontière érigée par le
sujet autiste, à partir de son objet, entre son monde sécurisé et
immuable et le monde des autres, incohérent et angoissant, mais il est
aussi une voie prudente, délicate vers le lien social.
· Ce
bord est constitué par trois éléments imbriqués les uns dans les autres
: l’objet autistique, le double et l’îlot de compétence. Ils localisent
la jouissance du sujet et lui servent de protection.
Les cas clinques présentés par les professionnels
bulgares après l’exposé de Guy Poblome ont donné la possibilité non
seulement d’illustrer ces trois composantes du bord, mais aussi de
mettre en valeur comment chaque sujet présenté de façon singulière et
unique subit un changement subjectif lors de la rencontre avec l’adulte,
ce qui lui permet de construire un rapport spécifique avec le bord.
Le premier cas, présenté par Bistra Dancheva,
psychologue au Centre de jour pour enfants autistes à Gabrovo, a montré
le cheminement dans l’accompagnement d’un enfant autiste, des premières
rencontres marquées par le refus massif face à la demande de l’Autre
jusqu’à la construction d’une ’’entrée’’ possible dans le monde social,
une vraie ’’renaissance’’ subjective.
L’exposé suivant, présenté par Penko Dekov,
psychologue au Centre de santé mentale pour enfants et adolescents à
Roussé, a raconté l’histoire de trois enfants autistes et les rencontres
singulières avec eux. Grâce aux cas, Guy Poblome a apporté un précieux
éclairage quant au rapport spécifique du sujet à l’objet autistique. Le
sujet autiste du premier cas réalise avec l’aide de l’objet une
opération de soustraction. Le deuxième cas illustre comment le sujet
autiste invite l’adulte à participer dans un jeu de jouissance, un jeu
qui se produit au moment où l’adulte est dans la position de l’Autre qui
demande. Dès que l’adulte change de position pour le sujet, dès qu’il
devient un Autre sans demande, le travail lié au bord devient possible
pour le sujet. Le troisième cas illustre de son côté l’îlot de
compétence dont parle Maleval. L’activité prend tout le temps du sujet.
Le monde de l’enfant dans le cas présenté par Penko Dekov est organisé
par les circuits en voiture. C’est de cette manière que l’enfant autiste
structure le monde. C’est à travers les signes du code de la route, en
tant que signes et pas en tant que signifiant, que ce sujet établit son
rapport au monde. Le seul accompagnement possible dans un travail du
bord est quand l’adulte lui aussi fait partie du jeu avec les signes et
devient ainsi un double dans un monde régulé.
Le cas, présenté par Lubov Lukareva, psychologue au
Centre ’’Coin d’enfant’’ à Roussé, a été décrit par Guy Poblome comme un
cas qui de façon très claire illustre la position du psychologue du
côté de la mère, de l’Autre de la demande, de l’Autre qui vient avec son
monde et ses objets. La rencontre avec le refus du sujet fait en sorte
que la psychologue change de position et reste au bord – elle sort et
entre dans le cabinet. Cela rend possible au sujet autiste d’amener ses
propres objets et à l’adulte de son côté de l’accueillir avec ses objets
et de le suivre dans ses inventions. Dans le cas présenté, les objets
de l’enfant sont ses parents. Pour pouvoir travailler avec l’enfant, il
devient indispensable de travailler avec la mère. Le Centre offre un
espace pour la mère ce qui a des effets sur l’enfant assez rapidement –
la mère fait un pas de côté et l’enfant n’est plus obligé de la
repousser, une relation entre la mère et l’enfant devient possible.
La deuxième journée du Module ’’L’enfant et ses
symptômes’’ a poursuivi les réflexions et les questionnements soulevés
par l’exposé de Guy Poblome.
Svetla Petrova, orthophoniste au Centre de santé
mentale pour enfants et adolescents à Roussé, a présenté son travail
avec une petite fille qui refuse de parler, de rentrer en contact avec
les autres, refuse d’entendre ce que l’autre lui adresse. Dans son
comportement, on observe des mouvements stéréotypés, elle se cache,
demande que la nourriture soit d’une seule couleur. Toutes ces
observations font écho à ce que Maleval renvoie du côté de l’immuabilité
dans l’autisme. Tout doit rester inchangé, tel qu’il est. L’Autre aussi
doit rester le même car s’il change, il devient menaçant. Ce qui était
très intéressant dans le cas présenté était l’apparition du transfert
entre l’orthophoniste et les parents. Le transfert a été possible grâce à
la position éthique de la part de Svetla Petrova quant au symptôme en
tant que décision du sujet, ce qui rend au symptôme toute sa dignité et
ne le réduit au déficit. Dans ce contexte l’enfant est accueilli et
accepté avec ses décisions comme par exemple le cache-cache ou le refus…
La position prise n’est plus celle de l’Autre de la demande et de
l’exigence, mais c’est la position de l’autre de l’autiste. C’est ainsi
que le symptôme de l’enfant prend un statut psychanalytique – non pas en
tant que dysfonctionnement mais comme ayant une fonction pour le sujet
de traiter la jouissance de l’Autre. Le changement dans la position
subjective de la petite fille s’effectue de nouveau par rapport au bord
de la relation avec l’Autre.
Le dernier cas du Premier module pour cette année du
programme ’’L’enfant et ses symptômes’’ était présenté par Donika
Borimetchkova, psychologue. Il était question du travail minutieux avec
un garçon qui, suite à l’accompagnement discret de l’adulte, commence
petit à petit à travailler autour de la symbolisation de l’objet.
L’Autre en régulant sa propre voix devient moins menaçant. L’enfant se
met à manipuler les objets du constructeur, à jouer avec des
dinosaures, à créer des scénarios, à faire l’effort de passer du réel
au semblant, et il lui devient ainsi possible de travailler autour de la
question de la séparation. L’enfant est invité à participer à un
atelier avec d’autres enfants et il arrive au bout de quelque temps à
’’raconter’’ une histoire, son histoire. Sur l’axe imaginaire, en écho
avec l’histoire racontée par sa sœur, qui fait partie du même atelier,
il arrive à développer son histoire, à construire son propre conte. Dans
ce conte, au sein du groupe d’enfants, le garçon tente de se présenter
lui-même en tant qu’objet et plus précisément en tant qu’objet-déchet.
Dans ce cas, ce qui était très intéressant était de voir qu’au moment
où il a la possibilité de nouer une relation avec les autres enfants, au
moment où quelque chose du rapport au lien social devient possible, il
arrive à (se) dire, à exprimer sa position d’objet.
En conclusion nous pouvons relever les points que
Guy Poblome a bien mis en relief en commentant les cas présentés. Tous
ces points ont été des clés dans le travail avec le sujet autiste dans
le sens où ils ont permis un changement et une évolution. La prise de
position de celui qui ne demande pas, de l’Autre qui n’exige pas et en
même temps continuer à avoir le désir de travailler avec le sujet
autiste, ce qui passe par la séparation d’avec sa propre identification
de psychologue ou orthophoniste, la régulation de la voix, le choix de
se laisser guider par le sujet autiste, l’attention portée sur la
fonction du symptôme, le changement de position de l’Autre menaçant à
l’Autre sécurisant, tout cela a été illustré à travers les cas
présentés. Et le travail se poursuit…
Dessislava IVANOVA et Anguélina DASKALOVA
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