Aborder l'Autre
Michèle Rassis – Hôpital de Jour La Demi-Lune
Le feuilleton préparatoire aux Journées des 23-24 janvier attend vos textes aux adresses
herve.damase@orange.fr
Un ime de la région nous demande de recevoir Mikaël, âgé de quinze ans. Les relations avec l'entourage sont problématiques ; il agresse les autres adolescents du groupe, une plainte a même été déposée après une agression sur une jeune fille. Nous décidons d'accueillir Mikaël dans notre « atelier stage avenir » à partir des quelques paroles qu'il nous adresse : « Je veux faire un stage pour travailler. »
Nous apprenons que les relations dans son milieu familial sont chargées d'agressivité et de violence. S'étant séparée du père pendant sa grossesse, la mère n'a pu faire de place à Mikaël dès sa naissance. Il a ainsi du être reçu dans des familles d'accueil, puis sa mère l'a repris avec elle avec l'accord du juge. Il est souvent mis en rivalité avec son frère qui est valorisé dans la famille parce qu'il va au collège. Sa mère dit qu'elle n'en peut plus, qu'elle a perdu confiance en lui. Elle ne l'autorise plus à aller chercher le journal parce qu'elle s'est aperçue qu'il fumait en cachette…
Il y a urgence dans cette famille : par deux fois, Mikaël en vient aux mains avec son beau-père et le menace. Il y a urgence par rapport à un risque de passage à l'acte, urgence pour Mikaël de faire coupure avec l'Autre familial où se condense sa jouissance. Mikaël sera hospitalisé à deux reprises dans une clinique psychiatrique avec laquelle nous sommes en contact.
À la Demi-Lune, nous avons poursuivi un travail avec lui. Nous avons pris au sérieux sa demande de stage, sans trop poser de questions, car si nous l'interrogions, il nous témoignait du peu de dialectique qu'il pouvait avoir avec les mots. Cela semblait vite le persécuter. Il pouvait s'agiter dans les couloirs, à la recherche d'un adolescent qu'il malmenait. L'image de la folie ou du déficit semblait le mettre à mal et le rendait agressif.
Dans la voiture, en allant chercher le journal, Mikaël nous dit : « Où on va, à l'hôpital des fous ? Non ? Maintenant ça va mieux depuis que je viens à la Demi-Lune. » Je l'accompagne alors chercher le journal à pied. Dans ces temps particuliers, il confie ses difficultés aux quelques accompagnateurs qui reçoivent ses paroles, chemin faisant d'une adresse possible avec l'un d'entre nous. Un jour, je lui dis : « Vous pourriez peut-être aller chercher le journal tout seul maintenant ? » Étonné, il m'adresse un : « C'est possible ? » « Oui, ça peut être possible, si cela se passe bien et que nous puissions vous faire confiance. » Il en sera décidé ainsi en réunion. Il ira chercher le journal seul et reviendra nous dire, fier, que cela s'est bien passé. Dans le magasin, il n'a pas posé de problème. Les vendeuses l'ont même trouvé sympathique. La directrice a seulement remarqué son empressement envers les jeunes clientes
Mikaël vient régulièrement à « l'atelier stage avenir ». Il nous dit : « Pendant le stage, je peux être tranquille, je peux être calme, parce que je me sens capable. » Un jour, dans l'institution, la voix et les propos de sa mère, qu'il veut absolument entendre au téléphone, le mettent à mal. Nous lui signifions que ce « vouloir entendre » l'a dérangé, lui, et les autres. Maintenant, il peut nous dire : « Je vous le dirai si ça me perturbe » Pour Mikaël, ces expériences de stage lui ont permis de se constituer un point d'appui, « un point d'où » il peut aborder l'autre et s'aborder d'une autre façon.
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