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Marcela Iacub et l’obsessionnel
Gil Caroz
(Texte paru dans LQ n°304)
Derrière les frontières de l’Empire obsessionnel, la voilà, terre noire, Empire du diable. Incohérente, imprévisible, de mauvaise foi, capricieuse. Petit garçon, il adéjà développé ce sens clinique qui lui permet de la sentir de loin. C’est dans l’air : « aujourd’hui, elle n’est pas dans son assiette. Elle sera injuste, elle déprimera, j’en serai le responsable, elle fera une crise de colère ». Il la hait. Il l’aime.
Pourtant leur lien a été parfait. Rien de plus sublime qu’un amour entre un petit garçon et sa mère. C’était le paradis. Aucun signe ne permettait de prédire que les promesses de la vie pouvaient être mises en question. Mais cette sphère intacte a explosé comme un ballon acheté à la foire le jour où il a appris : elle a aimé, elle aime un autre. A la folie. La sphère intacte n’a jamais existé. C’était du bluff. Elle est infidèle. Au nom de cet amour, pour suivre un homme, elle aquitté pays, famille, mari, enfant. Elle en pleurait toujours. Ses humeurs convergeaient encore et encore vers ce point. Non pas que l’homme ne valait pas la peine, mais quand on a commis l’irréparable, ne fut-ce que par désir et amour, ça ne pardonne jamais.
Mais si derrière les lignes qui contournent l’empire phallique elle est devenue l’incarnation du diable même, qui pourrait ne pas l’aimer tout en la haïssant ? Elle est authentique. Elle ne s’encombre pas. Elle est généreuse. Elle a de l’humour. Elle sourit. Elle dit « fonce, vis ta vie. N’aies pas peur. Ne te laisse pas décourager par les bien-pensants qui te disent de ne pas bouger, de te soumettre à la raison, leur raison, leurs idéaux ». Elle en connaît un bout, mais elle n’a pas les angoisses du propriétaire ni le souci du qu’en dira-t-on. L’Autre est bien là, mais nul n’est tenu, dit-elle, d’obéir à la lettre à ses exigences. Lui aussi peut être fou à l’occasion. Elle est pragmatique. Il y a les règles et la loi, mais elle va chercher la personne qui les incarne. Elle parle, elle négocie, elle obtient. Elle traverse tout lesrefus car pour elle « non » n’est pas une réponse valable.
« N’enlève pas tes chaussures jeune homme, tu n’es pas à la mosquée. Mets au contraire ta paire de chaussures de femmes, couleur rouge, et entre dans le bureau de l’analyste. L’analyste tolèrera ça, il est formé pour ça. Il est un peu femme lui même ». Là, chez l’analyste, il a découvert que pas tout est derrière les frontières. Qu’il a une connaissance intime de la terre noire. Qu’il la connaît « de l’intérieur ». Bref, à l’occasion il est lui-même un peu femme. Il a ses humeurs, ses amours fous, il peut être généreux et méchant, pragmatique et rêveur, capricieux et rationnel. Il constate qu’il peut commettre, et qu’il a d’ailleurs commis lui aussi, l’irréparable. C’est comme ça !
Aveu
Oui. J’ai dit que j’étais ni pour ni contre. Que la lecture de Belle et Bête n’était pour moi qu’un appui pour la pensée en vue de PIPOL 6. Ni plus ni moins. J’ai fini par écrire une petite note de commentaire sur le nouveau titre : « Après l’OEdipe, les femmes se conjuguent au futur », où j’ai mis en tension les nouvelles manifestations du fémininaprès l’OEdipe et le refus du féminin qui vient y répondre1.
J’avoue. Ce n’était pas vrai. J’ai aimé Belle et Bête. Ce roman m’a bouleversé par son authenticité, par ce récit au bord de l’abîme, qui cerne le point où les mots s’arrêtent et la pulsion commence. Pulsion baptisée « cochon ». La bête est incluse dans l’amour fou. Il faut avoir un don particulier pour bien le dire. J’ai aimé aussi le parcours, la traversée, la solidification de l’écriture comme sinthome.
J’avoue : le procès, son résultat, ne m’intéressent pas trop. Mes analysantes me l’ont appris dès le début de ma pratique : l’hystérique dit la vérité. C’est une condition préalable à toute clinique possible, et aucun tribunal ne peut toucher à cela. La psychanalyse et la loi de la Cité se séparent sur ce point.
Retour à l’obsessionnel
« Ne touche pas à la chienne, disait le père, tu risques d’attraper une maladie ». Il aimait la chienne, mais il a fini par ne plus s’en occuper du tout par peur des microbes. Elle est morte de chagrin. Il a fait connaissance avec d’autres chiennes. Charmantes. Capricieuses. Généreuses et méchantes à la fois. Tristes et vivantes. Intrusives et pleines d’intelligence. Honnêtes et de mauvaise foi. Il lui a fallu tout un parcours pour pouvoir toucher les chiennes sans angoisse, sans pensées incroyables. Ne vous insurgez pas, s’il vous plaît. Les femmes ne sont pas des chiennes et les hommes ne sont pas des cochons. Je le sais sans revoir mes cours de biologie de l’école secondaire. Dire que les femmes se conjuguent au futur n’implique pas de raconter un conte de fée, mais de tenter une traversée furtive des écrans qui nous séparent du réel.
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