Le salut par le temps
Christiane Alberti
Lisez
Laurent Demoulin, Valérie Gay-Corajoud… Ils écrivent jour après jour
leur expérience de paternité ou de maternité à travers le quotidien d’un
enfant autiste. La délicatesse de leur propos est saisissante. Elle
tient à leur attention de chaque instant, leur désir de dire au plus
près de l’expérience, la poésie inouïe de leur écriture. Une chose
par-dessus tout m’a frappée. Ils clament le salut par le temps.
L’agenda
de chaque instant l’atteste, « une double vie » selon le mot de Laurent
Demoulin. Il y a les rendez-vous avec les médecins, les orthophonistes,
les psychomotriciens, les psys…, MDPH, les enseignants, les activités…
Il y a surtout le temps de se faire à la manière d’être de leur enfant.
Les inventions, les trouvailles, les formulations originales se font
avec le temps : en un sens, « l’autisme, c’est l’éloge de la lenteur »
comme le dit Catherine Léger. Lacan évoque à propos d’une analyse qu’il
faut « le temps de se faire à l’être ». Ne peut -on penser que dans ce
cas comme dans beaucoup d’autres, il faut le temps de se faire à l’être
parent, le temps pour le sujet autiste de se faire à l’être.
Se
dessine ainsi une voie d’apparence précaire et pourtant tellement
lucide pour permettre à un sujet de trouver sa place dans la routine du
monde, de stabiliser son rapport au signifiant, détacher une parcelle de
jouissance pour en faire un objet. Cette orientation suppose de lire
le sentiment d’intrusion propre à l’autisme avec Lacan : comme « le
développement d’une défense », l’éloignement du monde comme le signe
paradoxal d’une transparence à celui-ci, une ouverture absolue.Accorder
la plus haute importance au moindre goût, intérêt, la plus infime
inclination du sujet dit autiste, en guise de médiation pour organiser,
apprivoiser un monde perçu « par bribes et par bouts » (Donna Williams),
dessiner un bord (ainsi qu’Éric Laurent le développe) pour qu’un lien
entre l’Un-corps et l’autre soit possible. Cette position qui nécessite
le temps comme le plus sûr allié peut certainement se recommander de
Lacan : « Disons que semblable trouvaille ne peut être que le prix d’une
soumission entière, même si elle est avertie, aux positions proprement
subjectives du malade, positions qu’on force trop souvent à les réduire
dans le dialogue au processus morbide, renforçant alors la difficulté de
les pénétrer d’un réticence provoquée non sans fondement chez le
sujet »[1].
[1] Lacan J., « D’une question préliminaire à tout traitement possible de la psychose », Écrits, Paris, Seuil, 1966, p.534.
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