23 de dezembro de 2014

LACAN QUOTIDIEN. Quel Automne !, par Isabelle Rialet-Meneux


Alors que la douceur de l’été se prolongeait, nous assistions à Rennes à un enchantement. Sur la scène d’un petit théatre, la Journée organisée autour de Lacan lecteur de Claudel nous fIt entendre en quoi le théatre et la psychanalyse pouvaient se rencontrer pour le meilleur (1). Le texte L’Otage de Paul Claudel, remarquablement mis en scène par Jacques Roch et interprété par des comédiens étonnants de vérité et de fraicheur, retrouvait ainsi une actualité dont la modernité nous frappa. Cela meme qui n’avait pas échappé à notre collègue et ami Roger Cassin auquel nous rendions hommage à travers cet événement, le 13 septembre dernier. Un vent nouveau soufflait dans notre Landerneau lacanien !

Lors de la plénière des 44es Journées de l’École de la Cause freudienne « Etre mère » au Palais des Congrès de Paris, une émotion semblable à celle éprouvée à Rennes redoubla le sentiment que, décidément, quelque chose d’inédit était réellement en train de se produire. Nous vivions un franchissement irréversible qui inscrivait pour l’opinion cette équation : la psychanalyse d’orientation lacanienne est vivante ! Nous en avions, entre autres, la démonstration sur la scène grace au talent de Brigitte Jaques-Wajeman qui réussit l’exploit de nous faire rencontrer, en corps, des mères issues de grands textes dramatiques : Madame Klein de Nicholas Wright, La Mouette d’Anton Tchékhov et Angels in America de Tony Kushner.

Le théatre et le discours analytique opéraient une fusion évidente. Nul besoin que l’un vienne à interpréter l’autre. Le savoir de l’artiste, est-il besoin de le répéter, nous précède.

C’est peu de temps après que, portée par cet enthousiasme communicatif dont les effets se font entendre dans le désir toujours renouvelé de l’analyste, je découvrais la pièce Les particules élémentaires adaptée du livre éponyme de Michel Houellebecq et mise en scène par Julien Gosselin, dans le cadre du Festival « Mettre en scène » de Rennes. Choc ! Cette pièce de quatre heures interprétée par une dizaine de jeunes comédiens époustouflants, tous issus des écoles du Théatre du Nord de Lille et du Théatre National de Bretagne, rassemblés autour d’un metteur en scène agé de 27 ans seulement, fait résonner l’évidence du non rapport sexuel et de la montée au zénith de l’objet a sur le devant de la scène contemporaine. Depuis sa création au Festival d’Avignon en 2013, un immense succès l’accompagne dans une tournée hexagonale (2), jusqu’au prestigieux Festival d’automne de Paris.

Adapter Houellebecq et notamment cette œuvre nihiliste, dont la sortie en 1998 avait bouleversé le paysage littéraire, s’avère etre un défi tant la construction de ce roman fleuve conduit le lecteur à se perdre dans une narration à plusieurs voix, entrecoupée d’envolées philosophiques où la noirceur s’incarne dans une puissance incroyablement poétique. Le livre dénonce la dérive d’un monde occidental hédoniste courant à sa propre disparition. Qu’un tel théatre sensuel, charnel et conceptuel à la fois puisse rendre compte des théories apocalyptiques du très libéral Michel Houellebecq est une surprise en soi.

Le plateau apparemment dépouillé est bordé par des estrades d’écoliers où les comédiens prennent place, tour à tour personnages jouant la comédie, acteurs se changeant comme en coulisses, musiciens aux guitares et aux basses rock tonitruantes, techniciens de montages vidéos dont les images se reflètent en direct sur un grand écran. Le spectacle, telle une performance, y est mené tambour battant.

Années 1960 – fIn du millénaire. Deux demi-frères que tout sépare, sauf d’avoir en commun une soixante-huitarde de mère qui les a abandonnés pour suivre ses utopies communautaristes, se croisent. Leurs vieilles douleurs d’enfance ne se refermant pas, chacun mène sa vie dans une extrême solitude indexée par la jouissance et non par le désir. Bruno, prof de lettres obsédé par le sexe qu’il vit jusqu’à la désagrégation et Michel, chercheur en biologie moléculaire, misanthrope et quasi vierge, dont l’existence consiste à aligner des équations sur l’avenir de l’humanité dont l’extinction se profile par la mise en acte du clonage illimité des espèces. Ces bouts de réel partagés avec le public sont rendus extrêmement sensibles par la mise en scène rythmée et un tant soi peu déjantée de Julien Gosselin – le « Xavier Dolan du théatre » ? Les jeunes comédiens dont on sent l’esprit de corps – leur collectif se nomme « Si vous pouviez lécher mon cœur » – nous donnent à voir un jeu d’une irrésistible cruauté qui dévoile on ne peut mieux la société des uns tous seuls. Ils font de cette parabole moraliste et désespérante, un enchantement pour les spectateurs, remués par des images violentes et des mots crus, mais conquis par l’extraordinaire poésie qui s’en dégage.

Troublante coincidence : la fiction anticipatrice de Houellebecq sur la reproduction asexuée et le clonage rencontre les mots de Jean-Claude Ameisen (3), invité des dernières Journées d’automne de l’ECF !

Décidément, cet automne est théatral !

Notes:

1 : Journée organisée par l’ACF-VLB et la Section clinique de Rennes.
2 : Après son passage au Théâtre de l’Odéon à Paris, vous pourrez voir le spectacle à la Criée à Marseille, au TNT à Toulouse, à l’Espace culturel de l’Onde à Vélizy-Villacoublay... 
3 : Sur l’intervention de J.-Cl. Ameisen, président du Comité National Consultatif d’Éthique, lire notamment LQ 440 : «L’embryon des nouvelles Journées », par Miquel Bassols.

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