NOTRE MARINOPHOBIE
À gauche, le narcissisme
de la cause perdue
par Jacques-Alain Miller
par Jacques-Alain Miller
Je vois le FN assez proche d'une
victoire électorale pour qu'il soit justifié à mes yeux de penser à
la formation d’un « front uni ». Suis-je alarmiste ? Le fait est que les
candidats, résignés à la présence de MLP au second tour, disputent entre eux à
qui gagnera le droit de concourir avec elle. Mais qui saura mettre au pilori,
sur la place publique, la vraie nature de Marine et sa meute ?
***
À peine avais-je collé hier soir sur mon blog de Mediapart le récent « Appel des psychanalystes contre
Marine Le Pen », que m’était signalé le texte d’une personne que je n’ai pas
l’avantage de connaître, Mme Diane Scott, autre membre du Club. Placé sur son
blog à elle, son texte commente, ou plutôt prend à partie, à la fois l’Appel
des 32 psychanalystes et ma tribune parue dimanche dernier dans la Matinale du
journal Le Monde, sous le titre « Les ruses du Diable ». Mme Scott écrit
: « La lutte contre le FN est l’alibi moral du maintien de choix électoraux qui
seraient identiques sans cette soi-disant contrainte créée par
l’extrême-droite. » J'admets volontiers que cette proposition est souvent
exacte. Néanmoins, faut-il pour autant récuser l’ébauche de tout front uni,
certes circonstanciel et destiné à rester éphémère, contre une menace mortelle
et immédiate ? Ne vaudrait-il pas mieux, à un mois des élections, suspendre les
ressentiments et les revendications qui opposent entre eux, disons, les
antifascistes, ou les non fascistes, d’aujourd’hui ? Dois-je rappeler qu’il y
avait aux débuts de la France libre des maurrassiens comme des gens de gauche
(et peut-être davantage des premiers que des seconds, n'est-ce pas ?) Plus
tard, en 1943, Aragon pouvait lancer son fameux « Celui qui croyait au ciel /
Celui qui n'y croyait pas ».
L’auteure me renvoie sur un ton
comminatoire à mon « sommeil de classe » Doit-on en conclure qu'elle prône une
réédition en 2017 de la stratégie classe contre classe, qui fut celle de
l'Internationale communiste dans les années 1920, et qui inspira à Aragon,
toujours lui, un autre de ses vers célèbres, ne sentant pas, lui, la rose ni le
réséda : « Feu sur les ours savants de la social-démocratie » ?
Il me suffira de rappeler que
l’accentuation de la menace fasciste amena le PCF à une position toute
différente en 1934. Fondé la même année, le Comité de Vigilance antifasciste
des Intellectuels invitait les « Travailleurs unis » à passer outre aux divergences
: « nous venons déclarer à tous les travailleurs, nos camarades, notre
résolution de lutter avec eux pour sauver contre une dictature fasciste ce que
le peuple a conquis de droits et de libertés publiques. » L'issue du revirement
communiste fut en 1936 le Front Populaire. [NB : ma citation du Comité de
Vigilance est empruntée au site lesmaterialistes.com]
« Une fausse peur »
J'entends bien que Diane Scott
se moque et de moi et des gens comme moi, qui voudrions mobiliser aux
prochaines échéances électorales contre le FN. À ses yeux, nous sommes de toute
évidence alarmistes et pétochards. Elle n’est pas seule à le penser. On est
bien forcé de s’interroger sur soi-même quand on lit les propos de notre cher
Claude Lanzmann, trésor national, dans Paris-Match, le 5 mars dernier :
« C’est une fausse peur que se font les Français. Cela ne peut pas se produire
dans un pays institutionnalisé comme le nôtre. »
Sur ce point, I
beg to differ . Je me risque à contredire « un voyant dans le siècle ». Que les sondages en
soient maintenant à créditer Marine Le Pen de 40 % au second tour me paraît une
donnée en elle-même alarmante. En face d'elle, un Fillon perdra une bonne
partie de la gauche, qui se réfugiera dans l'abstention, et Macron (ou
Mélenchon, ou Hamon, pour ceux qui le croient possible) verra une bonne partie
de la droite passer au FN, tandis que bien des gens de gauche refuseront leur
vote à l’héritier de Hollande. Je ne vois pas pour l’instant de barrage à Le
Pen, ou il est poreux. Alors, oui, il se pourrait que le ventre ait cessé
d’être fécond, qu’il ait été stérilisé par le « pays institutionnalisé »
(qu’est-ce que ça veut dire, ça, exactement ?) Mais si l’on n’était pas loin de
la perte des eaux ? La France ne s’ennuie pas, elle me semble grosse d’un malheur.
Bref, j’envie la sérénité de
Lanzmann quand je pense à ce que serait l'appareil d'État aux mains du FN. Je
ne parle pas de son programme, ni de ses promesses, ni des faux-semblants qu'il
a multipliés, ni des jeux entre Marion et Florian, frais prénoms de pastorale.
Je parle d’une sale clique irrévocablement xénophobe, antirépublicaine et
antidémocratique, prête à mettre la main sur les commandes des ministères de la
Justice, de l'Intérieur et de la Défense.
Plutôt vaincue
Peut-être ai-je trop d'imagination.
Ou pas assez, mais trop de mauvaises lectures sur les conséquences de la venue
au pouvoir, par la voie des urnes, de partis autoritaires. Est-ce le fait
d’être juif ? Lanzmann, lui, est tranquille comme Baptiste. Il se peut que,
tout simplement, je me trompe d’époque. « C’est fini, tout ça, mon vieux, et
non seulement le pire n’est pas toujours sûr, mais il est tout bonnement devenu
impossible, comme l’a montré le récent triomphe d’Hillary — Bon, d’accord,
dis-je, si vous êtes bien sûr que la bête est désormais domestiquée, est
devenue un animal d’appartement comme le léopard dans “Bringing up Baby“, alors
que chacun roupille de son “sommeil de classe“. »
Diane Scott, qui se
présente comme « psychanalyste en formation », ce qui veut sans doute dire
qu’elle est en analyse, termine sa diatribe sur une profession de foi : « Pour
ma part, je préfère être vaincue que dupe. »
Autrement dit : Je serai
fidèle à mes convictions fût-ce au prix de la défaite. La posture est noble.
Noble au point que ce qui ici
s’avoue en clair n’est pas autre chose que ce que Lacan nommait, à propos de
nul autre que le vicomte de Chateaubriand, le « narcissisme suprême de la Cause
perdue ».
Paris, le 16 mars 2017
______________________
En la izquierda,
el narcisismo de la causa perdida
Jacques-Alain Miller
Jacques-Alain Miller
Veo al FN lo suficientemente cerca de una victoria
electoral como para que esté justificado, en mi opinión, pensar en la formación
de un “frente unido”. ¿Soy alarmista? El hecho es que los candidatos,
resignados frente a la presencia de MLP en segunda vuelta, disputan entre ellos
quién ganará el derecho a competir con ella. ¿Pero quién sabrá exponer al
escarnio público la verdadera naturaleza de Marine y su jauría?
***
Apenas había subido ayer la reciente “Convocatoria de
los psicoanalistas contra Marine Le Pen” a mi blog de Mediapart, cuando
se me mencionó el texto de una persona que hasta entonces no conocía, Diane
Scott, otra miembro del Club. Emplazado en su propio blog, su texto comenta, o
más bien ataca, la Convocatoria de 32 psicoanalistas así como mi artículo de
opinión publicado el último domingo en el matutino del diario Le Monde,
bajo el título “Las astucias del Diablo”.
Scott
escribe: “La lucha contra el FN es la coartada moral del sostenimiento
de elecciones electorales que serían idénticas sin esta supuesta
coacción creada por la extrema derecha”. Admito de buen grado que esta
proposición es a menudo correcta. No obstante, ¿hay que por eso recusar
de todo frente unido, ciertamente circunstancial y destinado a ser
efímero, contra una amenaza mortal e inmediata? ¿No sería mejor, a un
mes de las elecciones, suspender los resentimientos y reivindicaciones
que oponen entre ellos, digamos, los antifascistas, o los no fascistas,
de hoy? Debo recordar que en los comienzos de la Francia libre había
tantos maurrasianos como gente de izquierda (y tal vez más los primeros
que los segundos, ¿no es cierto?). Más tarde, en 1943, Aragón podía
lanzar su famoso “El que creía en el cielo / El que no creía en eso”.
La autora, en un tono conminatorio, me manda de
vuelta a mi “descanso de clase”. ¿Debemos concluir que preconiza una reedición
en 2017 de la estrategia clase contra clase, que fue la de la
Internacional comunista en los años ’20, y que inspiró a Aragón, siempre él,
otro de sus célebres versos, no oliendo él ni la rosa ni el reseda(1): “Fuego
contra los osos sabios de la socialdemocracia”?
Me bastará con recordar que la acentuación de la
amenaza fascista llevó al PCF a una posición completamente diferente en 1934.
Fundado ese mismo año, el Comité de Vigilancia Antifascista de los
Intelectuales invitaba a los “Trabajadores Unidos” a hacer caso omiso a las
divergencias: “Venimos a declararles a todos los trabajadores, nuestros
compañeros, nuestra resolución de luchar con ellos para salvar de una dictadura
fascista lo que el pueblo conquistó de derechos y libertades públicas”. La
salida del viraje comunista fue el Frente Popular en 1936. [NB: mi cita del
Comité de Vigilancia fue tomada del sitio lesmaterialistes.com]
“Un falso miedo”
Comprendo bien que Diane Scott se burle de mí y de la
gente como yo, que quisiéramos movilizar los próximos comicios electorales
contra el FN. En su opinión, somos claramente alarmistas y gallinas. No es la
única que lo piensa. Nos vemos obligados a interrogarnos sobre nosotros mismos
cuando leemos las declaracionoes de nuestro querido Claude Lanzmann, tesoro
nacional, en Paris-Match, el último 5 de marzo: “Es un falso miedo el
que tienen los franceses. Eso no puede producirse en un país institucionalizado
como el nuestro.”
Sobre este punto, I beg to differ. Me arriesgo
a contradecir a “un vidente en el siglo”(2). Que las encuestas fuesen ahora a
acreditar a Marine Le Pen un 40% en segunda vuelta, me parece un dato en sí
mismo alarmante. Frente a ella, Fillon perderá buena parte de la izquierda, que
se refugirará en la abstención, y Macron (o Mélenchon, o Hamon, para quienes lo
creen posible) verá una buena parte de la derecha pasar al FN, mientras que
mucha gente de izquierda negará su voto al heredero de Hollande. No veo por el
momento barrera a Le Pen, o es porosa. Entonces, sí, podría ser que el vientre
hubiese dejado de ser fecundo, que hubiese sido esterilizado por el “país
institucionalizado” (¿qué quiere decir eso exactamente?). ¿Pero si no
estuviéramos lejos de romper bolsas? Francia no se aburre, me parece preñada de
una desgracia.
En resumidas cuentas, envidio la serenidad de Lanzmann
cuando pienso en lo que sería el aparato del Estado en manos del FN. No hablo
de su programa, ni de sus promesas, ni de los engaños que multiplicó, ni de los
juegos entre Marion y Florian, frescos nombres pastoriles. Hablo de una sucia
pandilla irrevocablemente xenófoba, antirepublicana y antidemocrática, lista
para meter la mano en los mandos de los ministerios de Justicia, del Interior y
de la Defensa.
Mejor, derrotada
Tal vez yo tenga demasiada imaginación. O no tanta,
pero demasiadas malas lecturas sobre las consecuencias de la llegada al poder,
por vía de las urnas, de partidos autoritarios. ¿Es por ser judío? Lanzmann
está absolutamente tranquilo. Es posible que simplemente me equivoque de época.
“Todo eso se terminó, mi viejo, y no solo lo peor nunca es seguro, sino que
se ha vuelto lisa y llanamente imposible, como lo mostró el reciente triunfo de
Hillary – Bueno, de acuerdo, digo, si ud. está muy seguro de que la bestia está
ahora domesticada, que se convirtió en un animal de apartamento como el
leopardo en “Bringing up Baby”, mientras que cada quien se echa un sueño en su ‘descanso
de clase’”.
Diane Scott, que se presenta como “psicoanalista en
formación”, lo que sin duda quiere decir que está en análisis, acaba su
diatriba con una profesión de fe: “En cuanto a mí, prefiero ser derrotada que
crédula”.
Dicho de otro modo: Seré fiel a mis convicciones,
aunque sea al precio de la derrota. La postura es noble.
Noble al punto en que, lo que aquí se deja en claro,
no es otra cosa que lo que Lacan nombraba, a propósito de ningún otro que del
vizconde de Chateaubriand, el “narcisismo supremo de la Causa perdida”.
París, 16 de marzo de 2017
* Texto original publicado en francés en Lacan
Quotidien nº 634, el 16 de marzo de 2017, disponible en: http://www.lacanquotidien.fr/blog/wp-content/uploads/2017/03/LQ-634.pdf
Traducción:
Lorena Buchner
Notas:
1-
Alusión al poema de Louis Aragon “La Rosa y el Reseda” (1943), que convocaba a
la unidad en la Resistencia, más allá de los desacuerdos políticos y religiosos.
[N. de la T.]
2-
Alusión al título del reciente libro colectivo “Claude Lanzmann : un vident
dans le siècle”, publicado en marzo de 2017 por la editorial Gallimard, bajo la
dirección de Juliette Simont. [N. de la T.]
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