L’Institut Psychanalytique de l’Enfant a
participé en octobre 2014 à la consultation publique de la HAS concernant les
Recommandations de bonne pratique pour le TDAH. Celles-ci étant désormais
disponibles sur le site de la HAS, il nous a semblé bon de poursuivre notre
examen de cette publication. Ce n’est pas une tâche aisée, ni plaisante, pour
nous.
Sous couvert
d’une recension exhaustive des divers travaux « internationaux » (USA, UK et
Canada essentiellement) et d’une volonté déclarée d’un abord « intégratif »,
ces recommandations se révèlent, en effet, être une compilation de toutes les
pseudo-évidences autoproclamées scientifiques qui ont été à l’origine de la
création de cette entité nosographique et qui accompagnent son expansion
mondialisée, conjointement à l’extension de la prescription de méthylphénidate.
L’ensemble du
document se trouve biaisé du fait de l’absence de tout regard critique sur
l’apparition de cette entité « TDAH », sur sa prétendue existence depuis le
début du siècle passé, sur la base neurobiologique non démontrée de l’action de
la méthylphénodate, sur l’action des laboratoires et l’action de la
psychiatrie universitaire dans la promotion de ce diagnostic, sur
l’introduction de l’évaluation cognitive et comportementale à tous les niveaux
de la vie de l’enfant.
À la place,
nous est proposée une perspective œcuménique, soulignée par la presse, dont le
moins que l’on puisse dire est qu’elle ne nous convainc pas telle qu’elle se
formule dans ce document : « Cependant émerge depuis plusieurs années une
conception intégrative des diagnostics pédopsychiatriques qui propose de réunir
les deux modèles neuro-développemental et psychanalytique au lieu de les opposer.
Dans cette perspective intégrative le TDAH est considéré comme un diagnostic
dimensionnel neurodéveloppemental s’inscrivant dans différentes organisations
psychopathologiques au sens du modèle psychanalytique. Dans l’ensemble de ces
approches, les facteurs étiologiques s’inscrivent dans un modèle multifactoriel
où les facteurs génétiques neurobiologiques interagissent avec les facteurs
environnementaux. » (Argumentaire p. 16)
Que vise la HAS
en mettant ainsi à son étude de telles Recommandations, si ce n’est à installer
durablement ce cadre diagnostique dans le paysage médical et sociétal français
? Face à cette question, nous nous autorisons à lui faire quelques
recommandations.
1) Trouble déficit de l’attention en épistémologie de la médecine :
Comment
identifier cette entité DSM, alors qu’elle s’est d’abord présentée sous les
espèces de l’hyperactivité, puis en privilégiant le déficit de l’attention,
enfin en ajoutant un troisième item « l’impulsivité » ? Nous avons là une
création nosographique bien mal formée. Si mal formée que la liste de ses
co-morbidités recouvre quasiment tous les autres « troubles » que peut
présenter un enfant, ce qui rend impossible d’établir un diagnostic
différentiel. De plus, est répété à l’envi qu’il ne s’agit en aucun cas d’une
maladie (antienne bien connue), mais d’un « trouble », c’est-à-dire d’un
ensemble ordonné de plusieurs symptômes, ce qui depuis la nuit des temps
constitue la définition d’une maladie. Voilà qui est décidément bien troublant
!
Le traitement
réservé dans l’Argumentaire à l’histoire de cette entité TDAH est lui-même
sujet à caution. On y appelle à la rescousse le neurologue français D. M.
Bourneville, célèbre pour sa « sclérose tubéreuse », qui aurait fait, nous
dit-on, une description exacte de ces symptômes en 1897 dans son ouvrage « Le
traitement médico-pédagogique de différentes formes de l’idiotie » ! Mettre
ainsi en perspective les observations médicales faites sur des enfants enfermés
dans des asiles au début du XXe siècle
avec un tableau apparu sur un mode « épidémique » dans les années 1990 chez les
enfants scolarisés aux USA, nous apparaît comme un forçage bien singulier... Ou
alors il faut en conclure que les enfants du siècle qui commence sont
prisonniers de discours éducatifs particulièrement déréglés, aussi déréglés que
pouvait l’être la ségrégation subie par les enfants pauvres et déviants au
début du XXe siècle ! C’est une
hypothèse qu’il ne serait pas vain de vérifier...
Nous
recommandons donc la lecture des ouvrages de Michel Foucault et ceux de Ian
Hacking (par exemple Entre science et réalité, Éd. La Découverte, Paris,
2008)
2) Trouble de l’attention en neurobiologie
Quant à
l’introduction du méthylphénidate (Ritaline et consorts), on connaît
précisément sa première utilisation pour calmer les mouvements incontrôlés des
séquelles d’encéphalites aux États-Unis. Le terme « hyperactivité » apparaît
dans ce contexte précis, puis va opérer un glissement progressif vers une
entité intermédiaire, un syndrome « minimal-brain-damage », fondé sur
l’hypothèse d’un dysfonctionnement neurologique en cause dans le comportement
des enfants turbulents, qui ne tiennent pas en place, etc. Ceci fonde le
sophisme suivant : le méthylphénidate agit sur les mouvements incontrôlés des
IMC (Infirmités motrices cérébrales); s’il agit sur les enfants «turbulents»,
alors les enfants turbulents présentent un « dommage cérébral ». Il ne reste
plus qu’à le trouver. Des dizaines, voire des centaines, d’équipes de
chercheurs de par le monde sont attelés à chercher ce dommage cérébral à
l’origine du trouble – c’est dire s’il s’agit d’une affaire sérieuse! Nous
rappellerons ici simplement la méta-analyse de François Gonon, chercheur au
CNRS, à laquelle la HAS se garde bien de faire référence : F. Gonon, CNRS
UMR 5227, J.M. Guilé, Service de psychiatrie de l’enfant et de
l’adolescent, Université P. & M. Curie, D. Cohen, CNRS UMR 8189, « Le
trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité: données récentes
des neurosciences et de l’expérience nord- américaine », Neuropsychiatrie
de l’enfance et de l’adolescence, vol. 58, août 2010.
3) Trouble de l’attention en santé
publique
Cette
publication de la HAS met sur le devant de la scène deux catégories de médecins
: le « médecin de premier recours » et « le spécialiste ». Par définition, le «
médecin de premier recours » ignore tout du « trouble » en question (autisme,
TDAH, dyslexie, etc.) et aspire ardemment à être formé et informé, car on ne
sait quelle puissance obscure (peut-être la psychanalyse française...) s’est
évertuée à lui en cacher l’existence. Enfin informé par la HAS et formé à
l’utilisation d’échelles d’évaluation simplifiées – n’oublions pas qu’il n’a
rien à voir avec un « expert » –, on lui fait miroiter une place d’importance :
il sera « au centre du réseau » des divers intervenants nécessaire à la prise
en charge d’un tel trouble. L’ampleur de la tâche qui lui incombe paraît peu
réaliste à loger dans l’emploi du temps d’un médecin généraliste !
Face à lui
s’élève la figure auguste de l’expert, ici dénommé « le spécialiste du TDAH ». Nous
ignorions jusqu’alors qu’il existait des psychiatres « spécialistes du TDAH » :
il s’agit vraisemblablement d’un cursus universitaire récent qui institue une
sur-spécialité, elle-même divisible en sur-sur-spécialités. Il y aura (il y a
peut-être déjà ?) des spécialistes du Trouble déficit de l’attention avec
hyperactivité et des spécialistes dudit trouble sans hyperactivité, des
spécialistes des « impulsifs », etc. Nous recommandons ici la lecture
des textes qui ont fondé la psychiatrie de secteur en France.
4) Trouble hyperactivité des lobbies pharmaceutiques
Nous
recommandons la lecture de l’article « The impending globalization of ADHD:
Notes on the expansion and growth of a medicalized disorder » de Peter Conrad
et Meredith R. Bergey (Department of Sociology, Brandeis University, Waltham,
MA, USA), paru dans Social Science & Medicine, en décembre 20141. L’abstract donne un aperçu précis
du propos des auteurs qui démontrent l’action concertée des divers groupes
d’intérêt agissant dans le but de « globaliser » le diagnostic de TDAH et la
prescription de méthylphénidate au niveau mondial : « Attention Deficit
Hyperactivity Disorder (ADHD) has been medicalized in the United States since
the 1960s. Primarily used in North America until the 1990s, ADHD
diagnosis and treatment have increasingly been applied internationally. After
documenting the expansion of ADHD in a global context, this paper presents five
brief international examples examining ADHD usage and expansion: the United
Kingdom, Germany, France, Italy and Brazil. We then identify and describe
several vehicles that facilitate the migration of the ADHD diagnosis: the
transnational pharmaceutical industry; the influence of western psychiatry;
moving from ICD to DSM diagnostic criteria; the role of the Internet including
the related advent of easily accessible online screening checklists; and
advocacy groups. Finally, we discuss what this globalization of a diagnosis
reflects about the potential global medicalization of other conditions. »
5) Trouble hyperactivité en évaluation
Ah ! Les
échelles d’évaluation ! Quelle bénédiction que cette floraison de scales
élaborées par les départements de psychiatrie nord-américains et si aimablement
déjà traduites par nos amis canadiens francophones ! Enfin disponibles pour le
désormais fameux « médecin de premier recours » et les non moins fameux «
spécialiste du TDAH », mais aussi bien sûr pour les parents, les enseignants –
cœur de cible de l’évaluation du trouble dans ses coordonnées cognitives –, les
orthophonistes, les psychomotriciens, les ergothérapeutes, les
neuropsychologues... Il est assuré que lesdites échelles aideront lesdits « spécialistes
» à gravir quelques échelons dans leur « spécialité ». Il est moins sûr que
l’enfant s’y retrouve autrement que comme objectivé dans un comportement, une
conduite, un dysfonctionnement. Mais n’ayons crainte, on s’adressera à lui pour
lui expliquer que « ça n’est pas de sa faute » (Ah, l’horrible spectre de la
culpabilisation !), ni de celle de ses parents, et qu’il n’a qu’à bien prendre
son médicament et à apprendre à vivre avec son « trouble »...
Aux amateurs
d’échelles, nous recommanderons l’escabeau (joke lacanien).
6)
Trouble impulsivité de la HAS
Nous en venons
donc à nous interroger sur le degré d’impulsivité à l’œuvre au sein de la HAS,
impulsivité qui pousse irrésistiblement cet organisme à encourager et soutenir
les voies les plus sujettes à caution tant au niveau de la clinique que de la
recherche en neurobiologie, de la santé publique et de l’histoire de la
médecine.
Cette
impulsivité, accompagnant une hyperactivité évaluatrice et un grand déficit de
l’attention portée aux enfants de notre siècle, est sans nul doute le seul
élément causal que nous pouvons reconnaître à l’origine de ces Recommandations,
car personne ne songera à invoquer une sujétion aux lobbies pharmaceutiques,
aux pressions de la psychiatrie universitaire cherchant à reconfigurer le champ
de la clinique et à celles de certaines associations ayant sites militants sur
la toile. Vu le caractère endémique de cette impulsivité de la HAS face à tout
le champ de la souffrance psychique, nous recommanderions volontiers à celle-ci
une sévère quarantaine !
En guise de conclusion, une anecdote
Notre collègue
Laurent Dupont, qui anime actuellement le réseau francophone du CEREDA, me
racontait avoir reçu un jeune enfant porteur d’un diagnostic de
TDAH, dûment évalué. Plusieurs entretiens avec la maman et avec l’enfant
plus tard, l’attention s’était déplacée ailleurs, et l’enfant avait pu trouver
à qui parler, ce qui n’est pas si fréquent quand on est « hyperactif » et «
impulsif ». La maman, satisfaite des effets thérapeutiques, s’empressa de faire
connaître le nom de Laurent Dupont autour d’elle. Bientôt voilà notre collègue
institué « spécialiste du TDAH » par la dame ! Et sollicité comme tel par
d’autres parents inquiets. Il ne le refusa pas et ouvrit ainsi le champ pour d’autres
rencontres possibles. Cher Laurent, vous pourrez désormais dire à chacun de ces
parents que vous êtes devenu « spécialiste de leur enfant » !
Cette «
spécialité » nous convient, qui reste à la merci de la rencontre entre la
parole de l’enfant autour de ses symptômes, l’inquiétude légitime des parents
et l’accueil privilégié qui leur est fait par le psychanalyste ou le praticien
formé à la psychanalyse – premier, deuxième... ou dernier « recours ».
Notes:
1-. Conrad P. & Bergey M.R., « The impending globalization of ADHD:
Notes on the expansion and growth of a medicalized disorder », Social Science
& Medicine, vol. 122, décembre 2014, p. 31-43. Version numérique à acquérir sur
: http://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0277953614006650
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