n° 76
Nous avons le plaisir de vous adresser le temoignage d'une directrice d'etablissement (itep de Bellefonds).
Dans le contexte actuel,
celui-ci revet une importance particuliere.
Une erreur stratégique
Annie Bel
Le paysage du secteur médico-social devient de plus en plus complexe et confus. Les effets d'annonces du politique, les plans, les enquêtes, les acronymes (pour les déchiffrer, un décodeur s'avère nécessaire, et lorsque vous les trouvez hors contexte se pose à vous une question qui mériterait sans aucun doute un débat national, c'est celle du genre, d'une actualité brulante), sont pléthores. Les créations, initiatives, réformes fleurissent. Mon impression est, en tant que directrice, qu'on ne réforme pas, mais bien plutôt qu'on bricole.
Je suis souvent stupéfaite, voire consternée, de constater comment les soi-disant réformes sont très vite instrumentalisées et comment les associations, ainsi que les professionnels se précipitent sur des signifiants parus dans les textes, s'en emparent et les brandissent à tout bout de champ, allant pour certains d'entre eux (professionnels) à mettre en avant des argumentations qui ne reposent sur aucune logique. De façon générale, je dirai « qu'on fait passer la charrue avant les bœufs ».
Quels sont ces mots « clefs » qu'on peut repérer ?
Désinstitutionnalisation
Le médico-sociale, en France, a historiquement, et ceci depuis plus de soixante ans, depuis la mise en place d'institutions spécialisées, une culture très spécifique. Beaucoup d'institutions appartiennent à des associations de parents qui en sont gestionnaires. Parler de « désinstitutionalisation » a provoqué un véritable tremblement de terre.
En 2010, une directive européenne prône donc la désinstitutionalisation : « Tout enfant handicapé devrait vivre au sein de sa propre famille et il incombe à l'état d'assister les familles de manière à ce qu'elles puissent élever leur enfant handicapé. » Les pays les plus actifs dans cette directive ont été la Norvège et la Suède.
L'institution est supposée priver la personne de ses droits fondamentaux.
Le processus de désinstitutionnalisation repose sur quatre axes : la prévention du placement en institution ; la prévention d'un séjour en institution ; la désinstitutionnalisation de tous ceux qui se trouvent en institution ; la création de service de proximité.
Un autre rapport invite les états membres à veiller à ce que les fonds européens de développement régional ne servent pas à construire de nouvelles structures spécialisées.
Les états membres de l'Union européenne ont signé la convention de l'onu pour la protection et la promotion des droits et de la dignité des personnes handicapées.
Qui dit désinstitutionnalisation dit institutions. Le terme même d'institution mériterait quelques précisions sémantiques. Il est l'objet de nombreux malentendus. Dans la directive, il y a confusion entre institution et établissement. L'institution a perdu sa dimension symbolique. Confusion entre institution et enfermement, voire internement, privant les personnes de leurs droits fondamentaux. Certains pays européens ont en tête le modèle des orphelinats et des asiles des ex pays de l'Est, notamment la Roumanie.
La désinstitutionnalisation est liée à une idéologie qui érige, promeut l'individu, la personne et met à distance tout ce qui pourrait venir entraver l'autonomie et la responsabilité individuelle de celle-ci.
À aucun moment le concept d'autonomie qui envahit les textes et le discours ambiant n'est précisé, défini, et on peut se demander si la notion d'autonomie à l'heure actuelle ne cache pas des équivoques, obscurités dangereuses.
L'accompagnement
Les notions de droit fondamentaux, d'autonomie et aussi celle de besoin, donc de satisfaction, déterminent la logique de l'accompagnement qui vient remplacer celle de prise en charge. « Accompagner la personne dans le respect de son projet de vie, avec comme objectif le développement de son autonomie. »
L'association des itep et de leur réseau (AIRe), dont nous faisons partie, propose, pour répondre à la diversification des réponses à apporter, un concept, celui de « Dispositif itep ». Ce concept, qui maintient les visées institutionnelles soignantes, pose encore de nombreuses questions quant au cadre juridique, à la tarification, au financement. Cependant, ce « Dispositif itep » reste dans le médico-social, ce qui n'est pas dans l'esprit des textes qui prônent le rapprochement.
Le rapprochement
Le rapprochement avec qui et comment ? Si on sait avec qui, le comment reste très problématique.
Le rapprochement prône un décloisonnement entre les logiques de soins et de prévention, entre l'ambulatoire et l'hospitalier, entre le sanitaire, le médico-social et le social. Il faut coopérer. Le but étant la mutualisation de moyens et de financement.
Les contrats pluriannuels d'objectifs et de moyens, qui ont connu un développement important (justifié par des avantages indéniables), les cpom, trouvent déjà leur limite. À l'heure actuelle, certains gestionnaires ne parviennent plus à obtenir le respect des contrats signés. À ce jour, aucun texte réglementaire sur ce dispositif n'est fait.
Les associations de parents gestionnaires de nombreux établissements se montrent réticentes. Donc, aucune assurance d'acceptation.
D'autres part, ce rapprochement trouve ses limites dans une question qui peut être entendue comme un transfert des enveloppes budgétaires, financières du médico-sociale vers le secteur sanitaire.
Dans les rapports que nous pouvons lire, on est dans l'incapacité de faire une estimation en termes de moyens et de coût dans un secteur qui nous intéresse, celui du « handicap psychique ». Dans le secteur du médico-social en général, c'est la même chose. Ce n'est pas faute, pourtant, de remplir des enquêtes. Les enquêtes auxquelles nous sommes soumis ne peuvent être exploitées, car elles ont chacune leur modèle, leur référentiel, donc aucune lisibilité transversale.
L'Agence Nationale de l'Appui à la Performance (anap), qui recouvre la totalité du champ de la santé et du médico-social, dépassant le clivage qui existait entre ces deux secteurs, va mettre en place un outil et des référentiels communs. On arrivera peut-être ainsi à avoir une photographie au plan national sur les moyens et les coûts. Il me semble qu'on aurait dû commencer par là.
Messieurs, Mesdames médecins psychiatres, psychanalystes de l'Ecole, je crois que vous avez raté un rendez-vous avec l'ars. D'autres que vous s'y sont précipités ! Ne pas être dans les instances proposées par l'ars est à mon sens une erreur, une erreur stratégique.
On est là bien loin de la dimension du sujet !
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