Dans le film Mommy de Xavier Dolan les trois protagonistes, Steve le fils, Diane « Mommy » et Kyla la voisine s’expriment en joual, mixte d’anglais, de vieux français et d’argot ; la rapidité de leur débit, l’intensité des échanges, le volume sonore des interpellations, le tout sur un fond de musique omniprésente rendent difficile l’écoute et ardue la compréhension. Le spectateur apprécie mieux alors le choix du sous-titrage des dialogues, si tant est qu’on puisse appeler dialogues les injures, invectives, ordres et contrordres qui émaillent le texte écrit par le réalisateur et interprété hyperactivité par les trois excellents acteurs de ce drame contemporain, d’une justesse clinique confondante.
Préliminaire a la projection, l’annonce d’une loi en vigueur en 2015 situe ce qui va suivre comme une anticipation de ce qui nous attend dans un futur proche, l’abandon par les parents des enfants « impossibles a vivre ». Le diagnostic psychiatrique TDAH (trouble de l’attention avec hyperactivité) donne le ton majeur qui infiltre tout le film, pas d’écoute de l’autre et agitation compensatoire, exutoire a ce malentendu fondamental qui anime et epuise les unes et l’autre.
Chacun est enferme dans sa petite musique, dans sa bande son : qu’il s’agisse de la compilation héritée du père sur laquelle le fils danse en boucle sur son skate, de la bluette italienne qu’il tente de faire entendre dans ce karaoké qu’ils fréquentaient avant le deuil, de la chanson de Celine Dion qu’ils chantent a l’unisson et ponctuent d’un selfie, pour mémoire de ce moment d’exultation heureuse, ou du magnifique Born to die qui ferme le film en un ironique et déchirant dernier joke. Die pour princesse Diana, la mère mortelle défie la société d’un affirmatif « les sceptiques seront confondus ! » et ne cède a aucun moment sur sa jouissance de ce fils, a la fois fétichise comme un prince et ravale au rang de déchet encombrant.
L’affiche du film, mère et fils en miroir, juste une main qui fait taire ou évite le baiser de trop, annonce la couleur d’une mère-version a la limite incestueuse, jamais franchie, mais qui imprime sa marque d’intrusion, d’accusation, de surveillance réciproque du sexe de l’autre, trop réel pour être supportable.
L’insulte, dernier mot du dialogue qui vise la jouissance, irrigue le film. Die traite le chauffard d’« encule », accuse son fils d’être un « voleur », le chauffeur de taxi noir offense Die par un « bitch », Steve répond par une série de propos racistes... j’en passe !
À l’envers de cette profusion langagière, un personnage, la voisine Kyla, incarne par son bégaiement l’impossible a dire, sa présence introduit une pause dans la logorrhee ambiante et redonne au dire sa valeur d’échange, voire la possibilité du pacte de la parole. La trouvaille de cette suspension de la réponse force au silence et a l’écoute les « épars désassortis » (1) que présente le jeune cinéaste, en phase avec ses personnages et qui ne cède ni au misérabilisme sociologique, ni a l’emphase psychologique.
Au contraire, il offre un film lumineux, esthétique, dynamique, jouant sur le carre du cadre ouvert dans le bonheur ou dans le rêve, puis referme sur l’intime d’un amour qui se cherche et rate.
« Ce n’est pas parce qu’on aime quelqu’un qu’on peut le sauver », avertit dès le début une matrone avisée, mais ce n’est pas parce que la suite de la tragédie lui donne raison que les sujets déméritent dans leur volonté de faire advenir un futur que rien ne prédît, mais qu’ils persistent a espérer, a défaut de parvenir a le construire.
« L’urgence de la vie », ce sont ces moments ou s’élargit le cadre de la vision et tout l’art de ce cinema est de nous les faire entrapercevoir, le temps d’un film qui n’ignore rien de ce qui nous attend dans le monde tel qu’il est. Tout en annonçant « une extension de plus en plus dure des procès de ségrégation » (2), il la dénonce.
X. Dolan qualifie J’ai tue ma mère de film de la crise de l’adolescence, adresse a l’Autre maternel, tandis que Mommy est le film de la crise existentielle face a l’Autre qui n’existe pas. Cette vacance affecte le langage qu’il a su magnifiquement désaccorder dans cette œuvre, symptôme du temps présent.
Notes:
1 : Lacan J., « Préface a l’édition anglaise du Séminaire XI », Autres écrits, Paris, Seuil, 2011, p. 573.
2 : Lacan J., « Proposition du 9 octobre 1967 sur le psychanalyste de l’École », Autres écrits, op. cit., p. 257.
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