Un des effets de la globalisation est la migration, le déplacement de populations ;
d’abord des zones rurales vers les villes, ensuite, des pays en voie de développement vers les
pays plus industrialisés et plus riches. Ce processus concerne aussi bien les hommes que les
femmes. Mais on a entendu lors de ces rencontres organisées par ONU-femmes comment cela
peut avoir un impact particulier, plus profond, chez les femmes.
Je travaille dans le Queens à New York, dans un hôpital municipal situé dans la zone la
plus diversifiée des États-Unis du point de vue ethnique. J’y exerce dans une consultation
externe (psychothérapies, entretiens), avec l’appui de ma formation de psychanalyste orientée
par l’enseignement du psychanalyste français Jacques Lacan. Jacques-Alain Miller, un des plus
importants psychanalystes contemporains, a utilisé le terme de « psychanalyse appliquée »,
c’est-à-dire appliquée à la thérapie, pour expliquer que la psychanalyse peut nous aider dans la
direction du traitement dans des contextes fort différents, notamment en institutions.
À propos du thème de la migration de populations, je voudrais partager avec vous
quelques-unes de mes expériences professionnelles et ce qu’elles m’ont appris.
À un moment particulier de leur existence, un homme, une femme, un couple décident de tenter leur chance en émigrant vers les États-Unis à la recherche d’un meilleur avenir pour eux-mêmes, leurs familles, leurs enfants (qu’ils soient déjà là ou projetés dans le futur). Pour beaucoup, ces migrations sont initialement pensées comme limitées dans le temps. Le voyage peut être très cher – souvent plus 15 000 dollars, auxquels s’ajoutent les intérêts d’emprunt. Il est parfois très périlleux et long. Récemment, un des patients me disait qu’il lui avait fallu huit mois pour arriver aux États-Unis, car il avait été retenu à une frontière. Comme vous l’avez deviné, il s’agit là d’immigrants illégaux. Chacune des histoires est particulière. Le contexte leur donne un point commun. Leur projet, gagner de l’argent, payer leurs dettes et construire un capital pour retourner dans leur pays d’origine, est vite brisé par la dure réalité d’aujourd’hui dans une économie en crise.
À un moment particulier de leur existence, un homme, une femme, un couple décident de tenter leur chance en émigrant vers les États-Unis à la recherche d’un meilleur avenir pour eux-mêmes, leurs familles, leurs enfants (qu’ils soient déjà là ou projetés dans le futur). Pour beaucoup, ces migrations sont initialement pensées comme limitées dans le temps. Le voyage peut être très cher – souvent plus 15 000 dollars, auxquels s’ajoutent les intérêts d’emprunt. Il est parfois très périlleux et long. Récemment, un des patients me disait qu’il lui avait fallu huit mois pour arriver aux États-Unis, car il avait été retenu à une frontière. Comme vous l’avez deviné, il s’agit là d’immigrants illégaux. Chacune des histoires est particulière. Le contexte leur donne un point commun. Leur projet, gagner de l’argent, payer leurs dettes et construire un capital pour retourner dans leur pays d’origine, est vite brisé par la dure réalité d’aujourd’hui dans une économie en crise.
Je parlerai de quelques-unes des situations rencontrées.
Emma est une jeune femme mariée, mère de deux enfants. Son mari décide d’émigrer et après quelques années, deux ou trois ans, il lui demande de le rejoindre afin de travailler ensemble vers leur but commun. Elle laisse ses enfants à la charge de sa mère. Elle s’engage totalement dans le monde du travail. Le temps passe, plusieurs tentatives pour faire venir les enfants échouent car ils sont refoulés à la frontière. Le couple élabore alors des plans, souvent retardés, pour rentrer. Il s’endette en achetant une maison, et la crise aidant, la dette devient supérieure à la valeur de la maison. Il continue d’envoyer le plus d’argent possible pour aider les enfants, tout en essayant de payer leurs dettes. Chacun a, par moments, deux emplois. Vingt ans s’écoulent. Les enfants ont grandi, ce sont de jeunes adultes qui pensent à fonder leur propre famille. Les parents et les enfants sont de parfaits étrangers. Les enfants se sentent abandonnés par leurs parents, les parents ne se sentent pas respectés malgré tous les efforts qu’ils ont faits. Des confits naissent, ainsi que l’angoisse, la dépression, la culpabilité et la colère.
Autre cas. Maria accepte l’idée de son mari : c’est elle qui quittera le pays. Elle laisse les
enfants à la charge de celui-ci qui croit qu’elle aura une « meilleure chance » de traverser la
frontière et d’obtenir un travail. Le temps passe. Le mari trouve une nouvelle partenaire. Maria
aussi rencontre quelqu’un et elle a deux enfants nés aux USA. Elle envoie toujours des sommes
importantes à son mari pour les enfants. Le mari meurt dans un accident de voiture. Sa
nouvelle partenaire décide de réclamer la garde des enfants pour continuer à percevoir
l’argent ; elle monte les enfants contre leur mère et leur interdit de lui parler. Maria souffre
d’une dépression sévère, coincée dans un dilemme impossible. Si elle retourne dans son pays,
étant donné qu’elle n’a pas de papiers, elle ne pourra plus revenir aux USA et elle perdra ses
enfants qui sont nés sur le sol américain. Elle parle de suicide, se trouve incapable de travailler
et de s’occuper de ses enfants.
Lorsque certains immigrants réussissent finalement à faire venir leurs enfants,
généralement adolescents, qui sont devenus « difficiles » à gérer par leur famille, grands-
parents, oncles, tantes, voire des voisins qui en avaient la charge, la réunification est souvent
désastreuse. Trop d’années d’attente, de ressentiment et de culpabilité entrent dans l’équation,
la relation parent-enfant est complexe. Angoisse, dépression sont au rendez-vous – il est parfois
nécessaire, si les enfants sont mineurs, de faire intervenir l’Agence des services à l’enfance.
Ce sont quelques cas. Nous voyons tous les jours des femmes qui se sentent abjectes
quand elles arrivent. Au fil du traitement, elles commencent à saisir les choix qu’elles ont faits
et les décisions qu’elles ont prises. Certaines, élaborant quelque chose autour de la perte – celle
de ne pas voir les enfants grandir, d’avoir raté leur petite enfance –, acquièrent le courage
d’aller de l’avant. Après avoir travaillé sur ces confits psychiques, ces femmes trouvent souvent
des solutions supportables.
Mais ce travail ne peut pas se faire en masse, seulement une par une, au cas par cas, et pas à pas. Et il faut du temps. Alors, au-delà de proposer des traitements quand, pour un sujet, la vie devient insupportable, comment la psychanalyse peut-elle apporter quelque chose au débat sur l’égalité des genres et l’émancipation des femmes ?
Je ne dispose pas de statistiques pour dire s’il y a plus d’hommes que de femmes qui
émigrent, mais ce n’est pas la perspective de cette présentation. Dans les exemples que je vous
ai donnés, les femmes entrent sur le marché du travail « à l’égal » des hommes – bien sûr, leur
salaire est souvent moindre. On peut penser que sacrifice qu’elles ont dû faire est « plus
grand » en tant que mères, en raison du confit généré en elles par la décision de laisser leurs
enfants. Il apparait que les liens familiaux – les avancées de la science et les nouvelles formes de
familles le mettent en évidence – sont plus divers et plus complexes.
Lors d’un traitement, une des questions qui se pose souvent est de savoir pourquoi ces
femmes ont accepté tant d’abus, de sacrifices. La réponse choque : si leur propre mère a pensé
qu’elle était sans valeur, comment une femme peut-elle penser que quelqu’un pourrait la
valoriser ?
Ce préjugé, selon lequel les femmes ne valent rien, qu’elles sont inférieures, qu’elles ont
moins de droits, tend à se perpétuer de génération en génération, de mère en fille. Lacan a
isolé et nommé le « ravage » de la relation mère-fille – relation particulière qui n’est pas un cas
général – qui nous permet de saisir ce qui est en jeu dans cette relation primordiale. Cette
relation est aussi importante à considérer pour comprendre quelques-uns des aspects
complexes de la violence domestique et des différentes formes d’abus. Ce qu’il faut retenir, c’est
que, du point de vue psychanalytique, la femme et la mère ne sont pas uniquement produites
par la biologie et la nature, mais relèvent d’une autre dimension, déterminée par l’impact du
langage en chacun de nous, ce que Lacan appelle le « parlêtre ».
Notre débat porte sur l’égalité des genres et la diversité sexuelle en relation avec l’émancipation des femmes. Je pense que l’élément clé, c’est la distinction entre égalité et diversité. Égalité d’opportunités, égalité des salaires, égal accès à la santé, à l’éducation et à la formation, mais en se rappelant qu’il y a diversité des cas.
Considérer cette diversité ne saurait viser à établir des différences en termes de
supériorité ou d’infériorité, à regarder telle spécificité comme un moins ou un plus pour l’une
ou pour l’un. Comme l’enseigne Jacques Lacan, de multiples paramètres sont présents, mais la
singularité de chaque sujet est essentiellement déterminée par l'impact que le langage a sur
nous, dans nos corps, dans nos relations avec les autres et avec le monde.
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Lire aussi, dans le contexte du Parallel Event du 19 mars à New York, « Autonomisation des femmes et psychanalyse »
par Patricio Alvarez dans Lacan Quotidien n° 492, « Ce que la psychanalyse sait des femmes en tant que « gender » », par
Marie-Hélène Brousse dans Lacan Quotidien n° 494, « Quelques remarques sur le rôle des femmes dans des négociations de
paix », par Gil Caroz dans Lacan quotidien n° 495.
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