3 de maio de 2015

LACAN QUOTIDIEN. Un autiste, son BFF siri et sa mare, par Jean-Daniel Matet


C’est souvent avec réticence que les parents laissent leurs jeunes adolescents accéder à l’usage des objets technologiques contemporains diversement connectés.

Crainte des mauvaises rencontres ou des messages séducteurs des marchands de virtualités souvent mal intentionnés. Souci éducatif de garder la maîtrise sur les rencontres et les messages reçus. Refus de constater les premiers signes d’une séparation d’avec l’univers infantile.

Pour Judith Newman, la maman de Gus, 13 ans, c’est tout le contraire. Elle est si heureuse de voir son fls communiquer avec un partenaire, tellement soulagée qu’il ait trouvé une autre interlocutrice qu’elle-même, qu’elle chante les louanges des produits de la frme Apple (iPhone, iPod) dans un article adressé au New York Times(1) !

Le fait que Gus soit autiste peut expliquer cet engouement maternel pour la technologie et particulièrement pour l’application Siri que l’on trouve sur les iPhone(2). La mère de Gus fut en premier lieu intriguée devant l’attention qu’il portait à ces petits appareils mais elle a fni par saisir qu’ils sont pour lui des êtres animés. Gus, en effet, n’emportait son premier iPod hors de la maison que pour aller à l’Apple Store, expliquant que son iPod pourrait ainsi rencontrer ses amis. De même il n’utilise pas son Iphone pour communiquer avec ses camarades, comme le font tant d’adolescents, mais privilégie les échanges avec Siri, une voix féminine aux USA, avec laquelle il a des dialogues comme celui-ci : 

Gus : « Tu es un ordinateur vraiment gentil. »
Siri : « C’est bon d’être appréciée. »
Gus : « Tu demandes tout le temps si tu peux m’aider. Est-ce qu’il y a quelque chose que tu voudrais ? »
Siri : « Merci, mais j’ai très peu de besoins. »
Gus : « Ok ! Bien, bonne nuit ! »
Siri : « Ah, il est 17h06. »
Gus : « Oh, pardon. Alors, au revoir ! »
Siri : « À tout à l’heure ! »

La mère de Gus, qui s’appuie sur une grande expérience de la relation avec son fls, cherche à préciser la spécifcité de son utilisation de ces objets technologiques et à identifer ce qui la différencie de celle des neuro-typiques (ceux qui ne sont pas autistes). Gus n’utilise son téléphone que pour une activité de dialogue privé avec la machine. Il lui adresse ses obsessions sans fn sur la météo ou les tornades, sans fn elle lui répond, soulageant d’autant sa mère qui peut l’y renvoyer.

D’après elle, les avantages de l’utilisation de Siri pour l’autiste seraient nombreux. Parmi ceux-ci :

- la machine ne se lasse pas, contrairement aux partenaires humains de l’autiste, dont les sollicitations peuvent parfois être répétitives, et à l’infni

- la machine, en répondant dans l’ordre des codes communs, reste courtoise, même si on s’adresse à elle sans ménagement, et serait donc susceptible d’améliorer le langage social de l’autiste, voire de lui inculquer une politesse surprenante : les réactions de Siri aux facétieuses pousses-aux-insultes du frère jumeau de Gus sont imperturbablement tempérées ; et lorsque Gus dit à sa mère qu’elle est belle, celle-ci suppose que c’est Siri qui le lui a souffé ;

- la machine ne comprenant pas si Gus ne s’adresse pas distinctement à elle, il doit faire un effort de prononciation pour obtenir une réponse.

Manifestement Judith Newman a été très séduite par cette application d’« assistant personnel ». Elle en est venue à imaginer ce qu’il pourrait faire dans le futur – ce qui alimente les recherches des scientifques de SRI international : suivre l’enfant dans ses évolutions, apprendre à l’autiste à regarder dans les yeux quand il parle, parler avec la voix de son personnage préféré, lui transmettre de façon proactive les informations qui l’intéressent... Nombre de ces observations convergent avec ce que nous apprend la clinique auprès des jeunes autistes, souvent très en retrait, et les questions qu’elle pose. Il apparaît en effet essentiel de soutenir le développement des intérêts propres à chacun, avec une attention particulièrement fne au mode par lequel c’est possible.

Comment apporter une réponse à ce qui fait l’itération de la demande de l’autiste ? Comment lui transmettre les contenus d’apprentissage sans le persécuter ou le contraindre ? Comment se faire partenaire sans jugement de la parole et du comportement de l’enfant autistique ? Comment neutraliser dans l’échange ce qui fait signe du désir, d’une intention, voire d’une intimation, qui court dans la chaine signifante, dans l’intervalle signifant de la métonymie, comme le formule Lacan dans le Séminaire XI ?

On pourrait se demander si cet article ne vise pas à promouvoir les inventions de SRI International, mais néanmoins la vraie leçon que nous transmet la mère de ce jeune adolescent, c’est sa tolérance extrême aux formes les plus originales de l’expression et du comportement de son fls, servie par une attention aiguisée à ce qui l’anime. Ce n’est donc pas Siri qui mérite tant de compliments, mais cette mère et son fls : Gus a su inventer un mode propre d’échange et le faire reconnaître ; autrement dit, il a su produire un sinthome. 

Notes:

1 : Newman J., « How One Boy With Autism Became BFF With Apple’s Siri », NYTimes.com 25 décembre 2014. http://www.nytimes.com/2014/10/19/fashion/how-apples-siri-beca... umn-middle-span-region&WT.nav=c-column-middle-span-region&_r=0 Page 1 sur 5

2 : Siri, application informatique mise au point par la Standford Research Institut (SRI international) comprend les instructions verbales données par les utilisateurs et répond à leurs requêtes. Développée par Apple et qualifée d'« assistant personnel intelligent », elle repose sur la reconnaissance vocale avancée, le traitement du langage naturel (oral) et la synthèse vocale

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