Patrick Landman, président de STOP DSM, nous adresse la conférence d'Allen Frances qu’il a traduite en français « sur la responsabilité du DSM dans le déclin de la Psychanalyse aux États-Unis » : « Allen Frances psychiatre, psychanalyste, a été rapporteur du groupe sur les troubles de la personnalité du DSM-III, groupe où s'est jouée la rupture entre la psychiatrie et les psychanalystes américains. Il a aussi été Chairman de la task force du DSM-IV, autrement dit président et "patron" du DSM-IV ».
Jean-Daniel Matet commente, Patrick Landman répond. |
Bonjour, je m’appelle Allen Frances et notre question aujourd’hui est très intéressante : La popularité du système DSM a-t-elle réduit la popularité de la psychanalyse en Amérique ? Cette question a été soulevée par Patrick Landman et je crois qu’elle montre bien son goût parisien pour le paradoxe. Et c’est à moi qu’il l’a posée parce que au cours de ces 35 dernières années j’avais un rôle important dans le développement du DSM, alors que je défendais toujours l’héritage de Freud. Comment se fait-il que quelqu’un comme moi, qui a été impliqué dans la psychiatrie descriptive, puisse avoir une image très positive de la psychiatrie dite psycho-dynamique ?
Patrick Landman m’a également demandé de parler de façon personnelle, non pas seulement de mes idées sur ce sujet – le rapport entre la psychanalyse et DSM – mais aussi de la façon dont elles ont émergé à partir de mes expériences personnelles. Je vais donc commencer par une sorte d’exposé très ouvert, en vous parlant des expériences de ma vie qui ont forgé mes opinions sur la psychanalyse, celles qui ont abouti à mes impressions sur la psychiatrie descriptive, de la façon dont toutes deux convergent, quant c’est le cas, et de la manière dont, dans certaines circonstances, elles s’opposent.
Patrick Landman m’a également demandé de parler de façon personnelle, non pas seulement de mes idées sur ce sujet – le rapport entre la psychanalyse et DSM – mais aussi de la façon dont elles ont émergé à partir de mes expériences personnelles. Je vais donc commencer par une sorte d’exposé très ouvert, en vous parlant des expériences de ma vie qui ont forgé mes opinions sur la psychanalyse, celles qui ont abouti à mes impressions sur la psychiatrie descriptive, de la façon dont toutes deux convergent, quant c’est le cas, et de la manière dont, dans certaines circonstances, elles s’opposent.
Je commencerai avec la psychanalyse : je crois que mon premier amour pour Freud est né à l’âge de 14 ans, en lisant Malaise dans la Civilisation et Totem et Tabou. Pour la première fois, j’ai senti qu’il y avait un ordre, qu’on pouvait comprendre le comportement humain et ses manifestations culturelles. C’est pourquoi j’ai voulu devenir psychiatre ; c’est pourquoi j’ai choisi la Columbia University qui était l’internat de médecine le plus psycho-dynamique aux États-Unis à cette époque-là ; et c’est pourquoi j’ai suivi une formation psychanalytique, également à Columbia. Ensuite, j’ai enseigné pendant dix ans un cours sur Freud au Centre Psychanalytique ; j’étais chef de service de consultations externes et nous nous sommes spécialisés dans l’enseignement de la psychothérapie psycho-dynamique, en particulier dans les thérapies courtes, ça c’était vraiment une des choses qui m’ont intéressé.
J’ai consacré toute ma carrière à l’enseignement – j’ai enseigné la pratique de la psychothérapie psycho-dynamique aux internes, psychologues et travailleurs sociaux. Et c’était aussi toute ma pratique privée pendant la plupart des années quand j’étais clinicien. J’y suis très profondément attaché et cela me tient beaucoup à cœur.
J’ai des réserves par rapport à la manière dont la psychanalyse s’est développée en Amérique et je vous en dirai plus par la suite, mais en substance j’adhère au principe selon lequel la psychiatrie psycho-dynamique est d’une grande valeur et que si à son époque Freud était probablement surévalué, aujourd’hui il est au contraire très négligé, sous évalué.
Mon expérience avec la psychiatrie descriptive est plus récente et en quelque sorte plus ambivalente. Un de mes professeurs à Columbia était Bob Spitzer, qui a ensuite développé le DSM-III. C’était en effet un grand innovateur et grâce à lui la psychiatrie descriptive a gagné en popularité. A l’époque, Bob était un jeune médecin et j’ai complètement écarté ses propositions. Il essayait de recruter des internes pour sa recherche – il développait des instruments pour mener des entretiens cliniques, afn d’obtenir un diagnostic psychiatrique fable pour d’autres projets de recherche. J’ai trouvé que c’était la chose la plus bête au monde. Je désirais comprendre le sens de la vie, pour moi- même et pour mes patients, alors que lui, il s’occupait des choses les plus superfcielles – les symptômes que les patients ont présenté au cours de la semaine précédente.
Donc je trouvais Bob plutôt sympathique mais je ne le prenais pas au sérieux en tant que maître. Et mes maîtres ont été essentiellement ceux qui savaient le mieux puiser dans l’inconscient, mon inconscient à moi et celui de mes patients, et qui m’aidaient à forger des relations thérapeutiques fournissant une sorte de correction de l’expérience affective que je crois être si puissante dans le traitement psycho-dynamique. A mes yeux, Spitzer était une personne superfcielle, je l’aimais bien mais je ne voulais pas me consacrer à ce travail. Quand les premières ébauches du DSM-III sont sorties, je les ai trouvées un peu idiotes, ça n’était pas quelque chose qui m’aurait vraiment intéressé. A cette époque j’étais également directeur d’un service de consultations externes au New York State Hospital. Il y avait beaucoup de gens de la Columbia University ; nous travaillions pour préserver la psychiatrie psycho-dynamique et le fait que Spitzer l’ait d’abord totalement ignorée nous a beaucoup préoccupé.
J’ai eu l’idée brillante de proposer à Spitzer d’inclure dans le DSM-III le diagnostic de ‘self- defeating personality disorder’ (entre trouble de la personnalité masochiste, axée sur le négatif, le contreproductif et névrose d’échec). Je connaissais cela grâce à ma mère qui savait toujours transformer une victoire en défaite, et j’avais compris que les gens pouvaient être amenés, pour des raisons inconscientes, à éviter la réussite et rester malheureux dans leur existence. Je pensais qu’on pourrait transformer ce concept et le réduire à un ensemble de critères et que cela pourrait être utile. J’en ai parlé à Bob dans le couloir et il a dit : « C’est une bonne idée, alors peux-tu établir les critères ? » Je l’ai fait, je lui ai présenté mon travail, et il a dit, en riant : « Cela ne marchera jamais ». Il avait bien raison parce que toutes les manifestations psychiatriques sont plus ou mois masochistes ou contre-productives. Ce qui faisait la spécifcité du trouble du ‘self-defeating personality disorder’ c’était que son comportement était motivé par un désir d’arriver à l’échec, aucune autre raison n’expliquait ce comportement contre-productif. Bob disait que ça ne marcherait pas et en fait quand la même idée a été présentée, d’une manière beaucoup plus agressive, pour le DSM-IV, j’ai utilisé ses propres arguments pour la rejeter.
Mais Bob cherchait des gens pour travailler sur le DSM-III. Il m’a demandé, en 1977 ou 1978, de rejoindre l’équipe qui préparait le ce projet et de m’occuper de la catégorie des troubles de personnalité, d’en écrire la version fnale. J’étais d’accord et donc je m’y suis impliqué, puis une autre tache s’est présentée, qui a un lien avec notre débat d’aujourd’hui. Les groupes psychanalytiques aux États-Unis, la Psychoanalytic Association et l’American Academy of Psychoanalysis, ont été très préoccupées par le fait que Bob allait retirer le terme « névrose » du DSM-III. Pendant presque une année j’ai assuré le lien entre le DSM-III et les psychanalystes, pour voir si on pouvait trouver un compromis. A la fn la solution était toute bête – on a décidé de mettre le mot « névrose » entre parenthèses, au lien d’en faire le nom du diagnostic. Mais le problème résume bien une des diffcultés sous-jacentes aux rapports entre la psychiatrie descriptive et la psychiatrie psycho-dynamique : les deux parties – Spitzer et les psychanalystes – ont mal compris le vrai sens du mot « névrose ».
Le terme a été introduit par un médecin écossais, William Cullen, en 1759, cent quarante ans avant Freud. A l’origine il renvoyait à l’ensemble des plaintes indéfnies, sans causalité spécifque, mais très répandues dans la pratique généraliste. Le terme neurosis veut dire ‘une maladie des nerfs’, donc dès le début il y avait l’idée que ces présentations étaient dues à un problème biologique au niveau du système nerveux central. Depuis, le terme névrose s’utilisait de cette manière : les psychanalystes l’ont simplement emprunté. Freud a donc emprunté un terme qui était déjà lourd de sens. Et il a rajouté d’autres signifcations liées à des motivations sous-jacentes, ainsi que l’espoir qu’en les comprenant on pourrait aider les patients. Mais il n’a pas inventé un nouveau terme. Sa notion à lui avait une connotation particulière, mais le sens général renvoyait toujours à une maladie du cerveau.
Les psychanalystes défendaient le mot ‘névrose’ comme s’il s’agissait de défendre la psychanalyse elle-même. Spitzer avait hâte de se débarrasser du terme parce qu’à l’époque il était vraiment contre l’analyse. Il avait lui-même suivi des traitements depuis sa jeunesse, il était passé par plusieurs thérapies différentes, il avait une curiosité sur lui-même mais il a décidé que la psychanalyse c’était quelque chose qu’il devait combattre. Il se considérait comme quelqu’un allant changer la direction de la psychiatrie dans le sens d’une approche plus descriptive, un changement qui aboutirait à plus de fabilité et plus de recherche. Les deux parties se sont donc engagées dans un combat futile, toutes les deux passant à coté du fait que le mot « névrose » n’était pas la vraie question, la vraie question étant : comment la psychanalyse et la psychiatrie psycho-dynamique pourraient s’adapter au monde dominé par le DSM-III.
Il est très intéressant de noter qu’à l’époque aucun d’entre nous n’avait imaginé que le DSM-III aurait un tel succès, ou qu’il aurait une infuence culturelle aussi forte. Nous savions qu’il aurait une certaine infuence en psychiatrie mais nous n’avons jamais songé qu’il aurait intéressé le grand public. Ce fut donc une grande surprise d’en vendre plusieurs centaines de milliers d’exemplaires dès la première année de publication et de continuer d’en vendre des centaines de milliers au cours des années suivantes. Les résidents de Park Avenue à New York, qui avaient l’habitude de discuter, dans les cocktails du dimanche, de leurs rêves et de ce que leur analyste en avait dit, ont vite changé de conversation pour parler de leur diagnostic, de celui de leur femme ou de leur patron. Au niveau culturel, l’on est devenu plus attentif aux symptômes et moins à leurs motivations inconscientes.
Et le DSM a sans doute joué un rôle dans le déclin de l’infuence de la psychanalyse, mais on parlera aussi plus tard de la façon dont la psychanalyse a elle-même contribué à ce déclin. Il y avait de toute façon des facteurs culturels externes qui auraient provoqué ce déclin d’une manière ou d’une autre, mais j’y reviendrai plus tard. Voilà, j’en ai fni de ma présentation sur mon expérience concernant la psychanalyse et la psychiatrie descriptive.
Suite de la conférence à lire ici (pdf)
Le malentendu à l’origine du DSM, par Jean-Daniel Matet
Dans un entretien avec Patrick Landman, Allen Frances, qui participa à l’élaboration du DSM-III et dirigea le IV, exprime ses regrets d’avoir soutenu une entreprise qui, aux États-Unis a concouru au déclin de la psychiatrie dynamique et à celui de la psychanalyse. Curieuse impression produite par son récit de l’histoire de la psychanalyse aux États-Unis, de celle du DSM et ses conséquences, renvoyant à ce que plusieurs psychanalystes lacaniens, dont Jacques-Alain Miller et Éric Laurent, ont écrit régulièrement depuis la période préparatoire du DSM-III (1). Paradoxe qui fait que les praticiens « psycho-dynamiques » des deux rives de l’Atlantique nord ne parviennent à échanger qu’unis dans la critique du projet DSM qui prétend fonder une unité formelle de la psychiatrie en évinçant les courants psycho- dynamiques.
Comment ne pas être sensible à la manière dont s’exprime notre collègue Allen Frances, partagé entre un style « côte Est », effcace et rapide, et un style « côte Ouest », effcace et détendu. Nous comprenons d’emblée qu’il nous parle de son rapport à la vérité. Celle de l’histoire de la psychanalyse et sa vérité subjective, faites l’une et l’autre d’une part de contingence. Oserais-je dire qu’il a eu le mal-heur de rencontrer le président de la task force du DSM-III, Robert Spitzer, quand nous avons eu le bon-heur de rencontrer Jacques Lacan ? Spitzer voulait manifestement disposer d’une telle carte dans son jeu, quelqu’un de représentatif des courants psycho-dynamiques, et A.Frances avait les qualités qui l’intéressaient.
Il y eut ce petit plus, ce coup de pouce de l’inconscient, qui entraîna le sujet Allen Frances à trouver une place dans la nosographie pour ce qu’il avait eu à souffrir des symptômes maternels. Manifestement sa cure ne lui avait pas apporté de réponses satisfaisantes et sa critique de l’évolution de la pratique de la psychanalyse aux États-Unis, qui a posteriori confrme l’orientation de la critique lacanienne, pourrait bien y trouver sa justifcation. En conséquence de quoi, c’est dans la diabolique entreprise du DSM, qu’il crut devoir engager sa question sous la forme d’un « self defeating personality disorder » pour qualifer la pente maternelle à transformer toute victoire en défaite. Troublante ressemblance avec le jugement contemporain d’A. Frances sur les conséquences du DSM sur la psychanalyse.
Mais le DSM n’est pas la seule cause du déclin de la psychanalyse et par là même des courants de psychiatrie dynamique, note le Dr Frances. La cause principale tient à la manière dont les post-freudiens ont pratiqué la psychanalyse aux États-Unis, s’arc-boutant sur une conception muséifée du message freudien, imposant des standards que Freud lui-même ne pratiquait pas et oubliant tout ce qui avait fait la dynamique de son œuvre et de sa pratique. Les psychanalystes de l’IPA aux États-Unis n’ont pas su relever le déf imposé par la transformation de la société du fait de leur propre fascination pour les neurosciences, quand celles-ci ont promis beaucoup, ces dernières décennies, pour arracher les fnancements destinés à la recherche.
Nombre des arguments d’Allen Frances reprennent ceux que Jacques Lacan a avancés pendant les cinquante ans de son enseignement, sans doute l’allusion au goût de ses élèves pour le paradoxe en est une trace. Le dynamisme de la psychanalyse qu’A. Frances constate dans un certain nombre de pays, c’est au travail de Lacan sur le Freud qu’il revendique et sur la critique de ceux qui l’ont rejeté que nous le devons.
Il est bien dommage que nous n’ayons pas pu ou pas su parler de tout cela avec Allen Frances dès 1986.
Allen Frances à son insu, par Patrick Landman (en réponse à Jean-Daniel Matet)
Dans cette conférence sur le rôle du DSM dans le déclin de la psychanalyse aux États-Unis, qui est une courageuse confession (1), on perçoit deux volets distincts mais articulés et des propositions pour l’avenir.
Allen Frances nous donne d’abord un aperçu des raisons de son engagement dans le DSM-III. Il nous parle en effet des quelques signifants autour desquels s’est jouée sa participation active, a priori inconcevable pour un jeune psychanalyste formé selon les critères de l’IPA et un enseignant enthousiaste, à une entreprise aussi superfcielle que la psychiatrie descriptive. Comme bien souvent la raison est de transfert.
L’événement déclencheur du nouage de son transfert à Bob Spitzer, l’initiateur de la « révolution DSM-III » qu’il continue d’estimer à l’heure actuelle, a été le refus argumenté de ce dernier d’inclure le « Self defeating personality disorder ou SDPD », trouble de la personnalité qui a tendance à transformer toute victoire en défaite, « dans la nouvelle classifcation ». Le SDPD, Jean-Daniel Matet en fait une question, mais c’était aussi le diagnostic qu’Allen Frances avait fait sur le fonctionnement maternel, c’était à n’en point douter une trouvaille, me semble- t-il, un savoir acquis lors de son analyse. Ce savoir, il le propose à Bob Spitzer pour l’inclure dans le DSMI-III. Bob refuse sa demande, ce savoir ne « passe pas ». La méthode Spitzer n’est pas l’induction généralisée à partir d’un savoir singulier, elle est dans une autre logique, une nouvelle logique diagnostique et statistique semblant scientifque. Le refus de la demande et ses modalités ouvrent la voie au désir.
À défaut d’inclure le SDPD, ce refus va entraîner l’inclusion d’A. Frances dans le projet de B. Spitzer, élevé probablement au statut de sujet supposé savoir. Cependant, on peut émettre l’hypothèse que le signifant SDPD refusé et surtout les signifcations qu’A. Frances associe à ce signifant vont continuer d’opérer, semble-t-il à son insu. Je rejoins J.-D. Matet sur ce point : A. Frances œuvrera dans les années 1980 à transformer le triomphe de la psychanalyse dans la psychiatrie en défaite, puis trente ans plus tard, après un événement personnel dont il ne parle pas dans cette conférence, le triomphe de la psychiatrie descriptive DSM en défaite elle aussi. Si mon hypothèse toute à l’honneur d’A. Frances est juste : quelle belle illustration de l’implacable logique signifante qui détermine nos choix quels que soient leur contenu.
Le deuxième volet de cette conférence concerne les raisons du déclin de la psychanalyse aux États-Unis. Là, rien pour nous surprendre vraiment. La fossilisation de la théorie freudienne, le dogmatisme triomphant, la rigidifcation des standards de la pratique et de la formation ont contribué au déclin de la psychanalyse aux États-Unis, autant si ce n’est plus que le DSM, tout cela nous le savons depuis que Lacan a fait son retour à Freud comme le dit J.- D. Matet. Mais quel enseignement en tirer ? Que nous ne sommes pas à l’abri en France, même si A. Frances vante les mérites et le dynamisme de l’exception française en matière de psychanalyse, rien ne garantit que les post-lacaniens seront plus avisés à terme que les post- freudiens l’ont été à leur époque, même si certains d’entre eux le furent dès 1986 comme le rappelle J.-D. Matet.
La dernière partie concerne les propositions. A. Frances plaide pour une passerelle entre les neurosciences et la psychanalyse ou plutôt pour que la psychanalyse s’adapte aux nouveautés neuroscientifques, qu’elle adopte toutes les formes de psychothérapies sans exception, qu’elle renonce à sa théorie de la libido historiquement datée ; les psychanalystes doivent s’éloigner du « réductionnisme de la causalité psychique unique » pour adopter le modèle biopsychosocial, etc. Venant d’A. Frances et après sa confession, il est logique d’imaginer que l’application de ces recommandations, en apparence de bon sens, loin de sauver la psychanalyse pourrait au contraire accélérer son déclin dans un mouvement de « self defeating ».
1 : Diffusée lors des journées d’Espace Analytique d’octobre 2014.
Lovely Rita : amour et différences du TDAH aux USA et en France
La revue de presse U.S. « United Symptoms » de Jean-Charles Troadec
«Les symptômes dans la civilisation sont d’abord à déchiffrer aux États-Unis d’Amérique» Éric Laurent et Jacques-Alain Miller, L’Autre qui n’existe pas et ses comités d’éthique.
Dans un article retentissant intitulé « Pourquoi les enfants français n’ont pas de trouble de l’hyperactivité »(1), publié dans Psychology Today en 2012, le Dr Marylin Wedge interrogeait : « Comment l’épidémie de TDAH – clairement établie aux USA – est-elle presque passée inaperçue en France ? » Très bonne question qui trouve sa réponse dans le dernier document de la Haute Autorité de Santé.
La cause de l’absence du Trouble défcit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH ou ADHD en anglais) en France est foue. La cause de l’épidémie aux USA n’est pas moins foue. Les médias repèrent simplement qu’à un moment donné les laboratoires pharmaceutiques se sont mis à promouvoir ce trouble via un marketing agressif destiné aux consommateurs et aux médecins. D’ailleurs, l’inventeur du sigle ADHD lui-même, le Dr Léon Eisenberg (1922-2009), a déclaré peu avant de mourir au magazine Der Spiegel : « L’ADHD est l’exemple même d’une maladie fabriquée »(2).
Sans expliquer le nombre peu élevé d’enfants étiquetés TDAH, les nouvelles recommandations de la Haute Autorité de Santé française présentent ce trouble comme une problématique de santé publique, sous-estimée en France. En introduction, la HAS nous invite à faire le constat qu’en 2011 une étude téléphonique « a estimé à 3,5% la prévalence du TDAH chez les enfants de 6 à 12 ans, et parmi eux 45,5 % présenteraient une dominante "trouble de l'attention", 35,9% une dominante "hyperactivité-impulsivité" et 17,6% présenteraient une combinaison des deux composantes»(3). Cette enquête téléphonique a été menée par le Dr Lecendreux, pédopsychiatre impliqué dans la recherche sur le TDAH. Tout s’origine donc de cette enquête en France, qui vient comme un cheveu sur la soupe.
La soupe aide-t-elle vraiment les enfants à grandir ?
L’association HyperSuper, qui fgure en tête de liste du « Préambule » et du « Contexte d’élaboration » des recommandations, fait partie des lobbies qui ont alerté la HAS sur la carence française. Sur son site internet, elle se félicite de la réalisation d’une étude sérieuse : « Pour la première fois, une étude épidémiologique a été proposée sur un échantillon représentatif de la population pédiatrique française. » Elle nous renseigne ensuite sur cette fameuse étude : effectuée « en décembre 2008 par la société IDDEM spécialisée dans les enquêtes téléphoniques (...). Les questions posées aux familles par les enquêteurs (le plus souvent la mère) étaient issues et adaptées de questionnaires validés tels que la Kiddie-SADS et du DSM IV-TR. Le diagnostic de TDAH était retenu lorsque les symptômes étaient clairement identifés, persistaient depuis six mois au moins et retentissaient de façon signifcative sur le fonctionnement de l’enfant ». C’est ça la clinique moderne ! Et l’on voit l’avantage du questionnaire qui se remplit par téléphone... Un enquêteur, un membre de la famille, le diagnostic est posé. Pas besoin de compétences professionnelles, pas besoin de l’enfant.
Reste que pour HyperSuper, on n’explique pas plus le faible nombre d’enfants atteints de TDAH. Ce n’est pourtant pas faute de prescrire : « Entre 2004 et 2009, le nombre de boîtes (de médicaments), tous dosages confondus, remboursées par la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés est passé de 171 274 à 274 186, soit une augmentation de 60 %. Et les chiffres ne risquent pas de féchir », avance Le Point dès 2011(4).
Le but de l’opération est de prouver que le TDAH est présent en France. D’ailleurs, le même procédé a fonctionné aux USA lorsqu’il fallait mettre au goût du jour ce nouveau trouble.
Il y a dix ans, le laboratoire Shire, le fabricant de l’Adderall, un concurrent de la Ritaline (Novartis), a été accusé de marketing agressif envers les enfants et, dernièrement, d’élargissement abusif aux adultes(5). Le nom du médicament contient en lui-même ce dont on le soupçonne : ADD (Attention Defcit Disorder) et le suffxe accrocheur « all ». « ADD for all » donnant Adderall. Shire a aussi été épinglé pour ses bandes dessinées à l’intention des enfants, ses études statistiques trompeuses, son audit sur l’absence de prise en charge, et la preuve de la non-dangerosité du méthylphénidate sur les enfants (amphétamine proche de la cocaïne qui est actuellement l’unique médication contre le TDAH) pour encourager la politique du « dans le doute, donnez-en, ce n’est pas méchant ».
Ainsi, l’apparition soudaine de ce nouveau trouble sous l’effet des actions de promotions des laboratoires pharmaceutiques a déjà conduit les Américains à sévir. Alors pourquoi la France encourage-t-elle le même phénomène ? C'est un mystère.
Libération prolongée
Le rapport de la HAS place le curseur sur la médicalisation du trouble. Une grande partie des recommandations s’attache aux protocoles médicamenteux. Surprise ! Les médicaments à libération prolongée empiètent sur la célèbre Ritaline. Nous voyons apparaître le Concerta LP (Janssen, Johnson and Johnson USA) et le Quasym LP (Shire USA), les deux étant de la méthylphénidate mais à libération prolongée.
L’observance du traitement est parfois un problème : les parents ajustent souvent les traitements administrés à leur enfant surtout lorsque les premiers effets secondaires apparaissent – la crise cardiaque référencée dans la notice a de quoi faire peur.
Les recommandations répondent à ce problème en plaçant le médecin généraliste au cœur de la prise en charge, autre point commun avec les USA. C’est à eux de prescrire le traitement, après une première rencontre avec un spécialiste (psychiatre, pédopsychiatre, pédiatre, neuropédiatre). D’ailleurs le titre complet des recommandations est clairement orienté vers eux : « Conduite à tenir en médecine de premier recours devant un enfant ou un adolescent susceptible d’avoir un trouble défcit de l’attention avec ou sans hyperactivité » ? Les généralistes américains sont les plus gros prescripteurs de psychotropes. Le message adressé dans nos deux pays est simple : la méthylphénidate est sans danger, et dans le doute devant un éventuel TDAH, vous ne pouvez pas en sous-estimer le bénéfce. Et lit-on encore dans le rapport de la HAS : « Il s’agit d’un traitement symptomatique et non curatif, qui est d’autant plus effcace qu’il est initié avant l’adolescence ».
Qu’est-ce que le Concerta LP et le Quasym LP ?
En 2005, les plaintes de consommateurs de l’amphétamine se multiplient aux USA. Symptômes psychotiques, pensées suicidaires, hallucinations, augmentation de la pression artérielle et même arrêts cardiaques sont recensés. La Food and Drug Administration (FDA) a d’abord réagi en informant les médecins et les consommateurs des dangers de la méthylphénidate. Les États-Unis ont un temps d’avance sur la France. Et, en 2008, la FDA est allée encore plus loin, rappelant à l’ordre le laboratoire Johnson and Johnson sur l’usage et la promotion du Concerta LP (qui présente une action sur 12 heures, pratique pour les enfants mangeant à la cantine). Elle indique dans son rapport que les arguments avancés par le laboratoire sur l’effcience de ce médicament sont « faux ou trompeurs parce qu’ils surestiment l’effcacité du Concerta et omettent des faits cliniques concernant la consommation de ce médicament »(6).
Les faits cliniques passés sous silence sont relatifs à la prise sur le long terme et aux retentissements sur la croissance, la prise de poids. La surestimation concerne le marketing envers les enfants et les adolescents pour qui le Concerta pourrait améliorer également les activités extra-scolaires comme le sport, les jobs d’été, les activités de loisir en général, voire « dans tous les domaines de la vie quotidienne ». La FDA conclut qu’il n’y a aucune preuve validée pour ces bénéfces avancés par le laboratoire qu’elle met en demeure de cesser ces « violations » dans son marketing.
Le Quasym LP, quant à lui, est un « ovni ». Le célèbre site internet américain Drugs « Know more. Be sure » n’indique rien sur ce produit, si ce n’est qu’il n’est disponible qu'en France. C’est étonnant. Il est pourtant fabriqué par le laboratoire américain Shire sous la forme « à Libération Prolongée » (LP) et il s’agit d’un dérivé de la méthylphénidate (methylphenidate hydrochloride). En France, nous disposons de très peu de renseignements. Rien dans la revue Prescrire. Rien dans la presse. Ni même sur le site du laboratoire, où apparaît simplement son autorisation par la HAS. Pourquoi est-il plébiscité en France par la HAS ? Mystère !
En page d’accueil de Shire, se trouve un slogan étrange qui mérite d’avoir ici le mot de la fn tant il éclaire ce qui se passe en France : « Les diagnostics ne doivent pas être rares ».
Notes:
1Wedge, M., « Why french kids don’t have ADHD », in Psychology Today, March 8 2012, disponible sur internet : https://www.psychologytoday.com/blog/suffer-the-children/201203/why-french-kids-dont-have-adhd
2 Diener, Y., « Les nouvelles maladies infantiles » in Charlie Hebdo n°1181, 11 mars 2015, p. 15.
3 Haute Autorité de Santé, « Conduite à tenir en médecine de premier recours devant un enfant ou un adolescent susceptible d’avoir un trouble défcit de l’attention avec ou sans hyperactivité », décembre 2014, disponible sur internet : http://www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/2015-02/tdah_recommandations.pdf 4Dos Santos G., « Enfants hyperactifs : gare à la pilule de l'obéissance. » Le Point. 29/04/2011 Disponible sur internet :http://www.lepoint.fr/sante/enfants-hyperactifs-gare-a-la-pilule-de-l-obeissance-29-04-2011-1324951_40.php
5.Troadec, J.-C., « Les adultes sont de grands enfants », in Lacan Quotidien n° 368. 6http://google2.fda.gov/searchq=Concerta&client=FDAgov&site=FDAgov&lr=&proxystylesheet=FDAgov&requiredfelds=-archive%3AYes&output=xml_no_dtd&getfelds=*
J’ai consacré toute ma carrière à l’enseignement – j’ai enseigné la pratique de la psychothérapie psycho-dynamique aux internes, psychologues et travailleurs sociaux. Et c’était aussi toute ma pratique privée pendant la plupart des années quand j’étais clinicien. J’y suis très profondément attaché et cela me tient beaucoup à cœur.
J’ai des réserves par rapport à la manière dont la psychanalyse s’est développée en Amérique et je vous en dirai plus par la suite, mais en substance j’adhère au principe selon lequel la psychiatrie psycho-dynamique est d’une grande valeur et que si à son époque Freud était probablement surévalué, aujourd’hui il est au contraire très négligé, sous évalué.
Mon expérience avec la psychiatrie descriptive est plus récente et en quelque sorte plus ambivalente. Un de mes professeurs à Columbia était Bob Spitzer, qui a ensuite développé le DSM-III. C’était en effet un grand innovateur et grâce à lui la psychiatrie descriptive a gagné en popularité. A l’époque, Bob était un jeune médecin et j’ai complètement écarté ses propositions. Il essayait de recruter des internes pour sa recherche – il développait des instruments pour mener des entretiens cliniques, afn d’obtenir un diagnostic psychiatrique fable pour d’autres projets de recherche. J’ai trouvé que c’était la chose la plus bête au monde. Je désirais comprendre le sens de la vie, pour moi- même et pour mes patients, alors que lui, il s’occupait des choses les plus superfcielles – les symptômes que les patients ont présenté au cours de la semaine précédente.
Donc je trouvais Bob plutôt sympathique mais je ne le prenais pas au sérieux en tant que maître. Et mes maîtres ont été essentiellement ceux qui savaient le mieux puiser dans l’inconscient, mon inconscient à moi et celui de mes patients, et qui m’aidaient à forger des relations thérapeutiques fournissant une sorte de correction de l’expérience affective que je crois être si puissante dans le traitement psycho-dynamique. A mes yeux, Spitzer était une personne superfcielle, je l’aimais bien mais je ne voulais pas me consacrer à ce travail. Quand les premières ébauches du DSM-III sont sorties, je les ai trouvées un peu idiotes, ça n’était pas quelque chose qui m’aurait vraiment intéressé. A cette époque j’étais également directeur d’un service de consultations externes au New York State Hospital. Il y avait beaucoup de gens de la Columbia University ; nous travaillions pour préserver la psychiatrie psycho-dynamique et le fait que Spitzer l’ait d’abord totalement ignorée nous a beaucoup préoccupé.
J’ai eu l’idée brillante de proposer à Spitzer d’inclure dans le DSM-III le diagnostic de ‘self- defeating personality disorder’ (entre trouble de la personnalité masochiste, axée sur le négatif, le contreproductif et névrose d’échec). Je connaissais cela grâce à ma mère qui savait toujours transformer une victoire en défaite, et j’avais compris que les gens pouvaient être amenés, pour des raisons inconscientes, à éviter la réussite et rester malheureux dans leur existence. Je pensais qu’on pourrait transformer ce concept et le réduire à un ensemble de critères et que cela pourrait être utile. J’en ai parlé à Bob dans le couloir et il a dit : « C’est une bonne idée, alors peux-tu établir les critères ? » Je l’ai fait, je lui ai présenté mon travail, et il a dit, en riant : « Cela ne marchera jamais ». Il avait bien raison parce que toutes les manifestations psychiatriques sont plus ou mois masochistes ou contre-productives. Ce qui faisait la spécifcité du trouble du ‘self-defeating personality disorder’ c’était que son comportement était motivé par un désir d’arriver à l’échec, aucune autre raison n’expliquait ce comportement contre-productif. Bob disait que ça ne marcherait pas et en fait quand la même idée a été présentée, d’une manière beaucoup plus agressive, pour le DSM-IV, j’ai utilisé ses propres arguments pour la rejeter.
Mais Bob cherchait des gens pour travailler sur le DSM-III. Il m’a demandé, en 1977 ou 1978, de rejoindre l’équipe qui préparait le ce projet et de m’occuper de la catégorie des troubles de personnalité, d’en écrire la version fnale. J’étais d’accord et donc je m’y suis impliqué, puis une autre tache s’est présentée, qui a un lien avec notre débat d’aujourd’hui. Les groupes psychanalytiques aux États-Unis, la Psychoanalytic Association et l’American Academy of Psychoanalysis, ont été très préoccupées par le fait que Bob allait retirer le terme « névrose » du DSM-III. Pendant presque une année j’ai assuré le lien entre le DSM-III et les psychanalystes, pour voir si on pouvait trouver un compromis. A la fn la solution était toute bête – on a décidé de mettre le mot « névrose » entre parenthèses, au lien d’en faire le nom du diagnostic. Mais le problème résume bien une des diffcultés sous-jacentes aux rapports entre la psychiatrie descriptive et la psychiatrie psycho-dynamique : les deux parties – Spitzer et les psychanalystes – ont mal compris le vrai sens du mot « névrose ».
Le terme a été introduit par un médecin écossais, William Cullen, en 1759, cent quarante ans avant Freud. A l’origine il renvoyait à l’ensemble des plaintes indéfnies, sans causalité spécifque, mais très répandues dans la pratique généraliste. Le terme neurosis veut dire ‘une maladie des nerfs’, donc dès le début il y avait l’idée que ces présentations étaient dues à un problème biologique au niveau du système nerveux central. Depuis, le terme névrose s’utilisait de cette manière : les psychanalystes l’ont simplement emprunté. Freud a donc emprunté un terme qui était déjà lourd de sens. Et il a rajouté d’autres signifcations liées à des motivations sous-jacentes, ainsi que l’espoir qu’en les comprenant on pourrait aider les patients. Mais il n’a pas inventé un nouveau terme. Sa notion à lui avait une connotation particulière, mais le sens général renvoyait toujours à une maladie du cerveau.
Les psychanalystes défendaient le mot ‘névrose’ comme s’il s’agissait de défendre la psychanalyse elle-même. Spitzer avait hâte de se débarrasser du terme parce qu’à l’époque il était vraiment contre l’analyse. Il avait lui-même suivi des traitements depuis sa jeunesse, il était passé par plusieurs thérapies différentes, il avait une curiosité sur lui-même mais il a décidé que la psychanalyse c’était quelque chose qu’il devait combattre. Il se considérait comme quelqu’un allant changer la direction de la psychiatrie dans le sens d’une approche plus descriptive, un changement qui aboutirait à plus de fabilité et plus de recherche. Les deux parties se sont donc engagées dans un combat futile, toutes les deux passant à coté du fait que le mot « névrose » n’était pas la vraie question, la vraie question étant : comment la psychanalyse et la psychiatrie psycho-dynamique pourraient s’adapter au monde dominé par le DSM-III.
Il est très intéressant de noter qu’à l’époque aucun d’entre nous n’avait imaginé que le DSM-III aurait un tel succès, ou qu’il aurait une infuence culturelle aussi forte. Nous savions qu’il aurait une certaine infuence en psychiatrie mais nous n’avons jamais songé qu’il aurait intéressé le grand public. Ce fut donc une grande surprise d’en vendre plusieurs centaines de milliers d’exemplaires dès la première année de publication et de continuer d’en vendre des centaines de milliers au cours des années suivantes. Les résidents de Park Avenue à New York, qui avaient l’habitude de discuter, dans les cocktails du dimanche, de leurs rêves et de ce que leur analyste en avait dit, ont vite changé de conversation pour parler de leur diagnostic, de celui de leur femme ou de leur patron. Au niveau culturel, l’on est devenu plus attentif aux symptômes et moins à leurs motivations inconscientes.
Et le DSM a sans doute joué un rôle dans le déclin de l’infuence de la psychanalyse, mais on parlera aussi plus tard de la façon dont la psychanalyse a elle-même contribué à ce déclin. Il y avait de toute façon des facteurs culturels externes qui auraient provoqué ce déclin d’une manière ou d’une autre, mais j’y reviendrai plus tard. Voilà, j’en ai fni de ma présentation sur mon expérience concernant la psychanalyse et la psychiatrie descriptive.
Suite de la conférence à lire ici (pdf)
Le malentendu à l’origine du DSM, par Jean-Daniel Matet
Dans un entretien avec Patrick Landman, Allen Frances, qui participa à l’élaboration du DSM-III et dirigea le IV, exprime ses regrets d’avoir soutenu une entreprise qui, aux États-Unis a concouru au déclin de la psychiatrie dynamique et à celui de la psychanalyse. Curieuse impression produite par son récit de l’histoire de la psychanalyse aux États-Unis, de celle du DSM et ses conséquences, renvoyant à ce que plusieurs psychanalystes lacaniens, dont Jacques-Alain Miller et Éric Laurent, ont écrit régulièrement depuis la période préparatoire du DSM-III (1). Paradoxe qui fait que les praticiens « psycho-dynamiques » des deux rives de l’Atlantique nord ne parviennent à échanger qu’unis dans la critique du projet DSM qui prétend fonder une unité formelle de la psychiatrie en évinçant les courants psycho- dynamiques.
Comment ne pas être sensible à la manière dont s’exprime notre collègue Allen Frances, partagé entre un style « côte Est », effcace et rapide, et un style « côte Ouest », effcace et détendu. Nous comprenons d’emblée qu’il nous parle de son rapport à la vérité. Celle de l’histoire de la psychanalyse et sa vérité subjective, faites l’une et l’autre d’une part de contingence. Oserais-je dire qu’il a eu le mal-heur de rencontrer le président de la task force du DSM-III, Robert Spitzer, quand nous avons eu le bon-heur de rencontrer Jacques Lacan ? Spitzer voulait manifestement disposer d’une telle carte dans son jeu, quelqu’un de représentatif des courants psycho-dynamiques, et A.Frances avait les qualités qui l’intéressaient.
Il y eut ce petit plus, ce coup de pouce de l’inconscient, qui entraîna le sujet Allen Frances à trouver une place dans la nosographie pour ce qu’il avait eu à souffrir des symptômes maternels. Manifestement sa cure ne lui avait pas apporté de réponses satisfaisantes et sa critique de l’évolution de la pratique de la psychanalyse aux États-Unis, qui a posteriori confrme l’orientation de la critique lacanienne, pourrait bien y trouver sa justifcation. En conséquence de quoi, c’est dans la diabolique entreprise du DSM, qu’il crut devoir engager sa question sous la forme d’un « self defeating personality disorder » pour qualifer la pente maternelle à transformer toute victoire en défaite. Troublante ressemblance avec le jugement contemporain d’A. Frances sur les conséquences du DSM sur la psychanalyse.
Mais le DSM n’est pas la seule cause du déclin de la psychanalyse et par là même des courants de psychiatrie dynamique, note le Dr Frances. La cause principale tient à la manière dont les post-freudiens ont pratiqué la psychanalyse aux États-Unis, s’arc-boutant sur une conception muséifée du message freudien, imposant des standards que Freud lui-même ne pratiquait pas et oubliant tout ce qui avait fait la dynamique de son œuvre et de sa pratique. Les psychanalystes de l’IPA aux États-Unis n’ont pas su relever le déf imposé par la transformation de la société du fait de leur propre fascination pour les neurosciences, quand celles-ci ont promis beaucoup, ces dernières décennies, pour arracher les fnancements destinés à la recherche.
Nombre des arguments d’Allen Frances reprennent ceux que Jacques Lacan a avancés pendant les cinquante ans de son enseignement, sans doute l’allusion au goût de ses élèves pour le paradoxe en est une trace. Le dynamisme de la psychanalyse qu’A. Frances constate dans un certain nombre de pays, c’est au travail de Lacan sur le Freud qu’il revendique et sur la critique de ceux qui l’ont rejeté que nous le devons.
Il est bien dommage que nous n’ayons pas pu ou pas su parler de tout cela avec Allen Frances dès 1986.
Allen Frances à son insu, par Patrick Landman (en réponse à Jean-Daniel Matet)
Dans cette conférence sur le rôle du DSM dans le déclin de la psychanalyse aux États-Unis, qui est une courageuse confession (1), on perçoit deux volets distincts mais articulés et des propositions pour l’avenir.
Allen Frances nous donne d’abord un aperçu des raisons de son engagement dans le DSM-III. Il nous parle en effet des quelques signifants autour desquels s’est jouée sa participation active, a priori inconcevable pour un jeune psychanalyste formé selon les critères de l’IPA et un enseignant enthousiaste, à une entreprise aussi superfcielle que la psychiatrie descriptive. Comme bien souvent la raison est de transfert.
L’événement déclencheur du nouage de son transfert à Bob Spitzer, l’initiateur de la « révolution DSM-III » qu’il continue d’estimer à l’heure actuelle, a été le refus argumenté de ce dernier d’inclure le « Self defeating personality disorder ou SDPD », trouble de la personnalité qui a tendance à transformer toute victoire en défaite, « dans la nouvelle classifcation ». Le SDPD, Jean-Daniel Matet en fait une question, mais c’était aussi le diagnostic qu’Allen Frances avait fait sur le fonctionnement maternel, c’était à n’en point douter une trouvaille, me semble- t-il, un savoir acquis lors de son analyse. Ce savoir, il le propose à Bob Spitzer pour l’inclure dans le DSMI-III. Bob refuse sa demande, ce savoir ne « passe pas ». La méthode Spitzer n’est pas l’induction généralisée à partir d’un savoir singulier, elle est dans une autre logique, une nouvelle logique diagnostique et statistique semblant scientifque. Le refus de la demande et ses modalités ouvrent la voie au désir.
À défaut d’inclure le SDPD, ce refus va entraîner l’inclusion d’A. Frances dans le projet de B. Spitzer, élevé probablement au statut de sujet supposé savoir. Cependant, on peut émettre l’hypothèse que le signifant SDPD refusé et surtout les signifcations qu’A. Frances associe à ce signifant vont continuer d’opérer, semble-t-il à son insu. Je rejoins J.-D. Matet sur ce point : A. Frances œuvrera dans les années 1980 à transformer le triomphe de la psychanalyse dans la psychiatrie en défaite, puis trente ans plus tard, après un événement personnel dont il ne parle pas dans cette conférence, le triomphe de la psychiatrie descriptive DSM en défaite elle aussi. Si mon hypothèse toute à l’honneur d’A. Frances est juste : quelle belle illustration de l’implacable logique signifante qui détermine nos choix quels que soient leur contenu.
Le deuxième volet de cette conférence concerne les raisons du déclin de la psychanalyse aux États-Unis. Là, rien pour nous surprendre vraiment. La fossilisation de la théorie freudienne, le dogmatisme triomphant, la rigidifcation des standards de la pratique et de la formation ont contribué au déclin de la psychanalyse aux États-Unis, autant si ce n’est plus que le DSM, tout cela nous le savons depuis que Lacan a fait son retour à Freud comme le dit J.- D. Matet. Mais quel enseignement en tirer ? Que nous ne sommes pas à l’abri en France, même si A. Frances vante les mérites et le dynamisme de l’exception française en matière de psychanalyse, rien ne garantit que les post-lacaniens seront plus avisés à terme que les post- freudiens l’ont été à leur époque, même si certains d’entre eux le furent dès 1986 comme le rappelle J.-D. Matet.
La dernière partie concerne les propositions. A. Frances plaide pour une passerelle entre les neurosciences et la psychanalyse ou plutôt pour que la psychanalyse s’adapte aux nouveautés neuroscientifques, qu’elle adopte toutes les formes de psychothérapies sans exception, qu’elle renonce à sa théorie de la libido historiquement datée ; les psychanalystes doivent s’éloigner du « réductionnisme de la causalité psychique unique » pour adopter le modèle biopsychosocial, etc. Venant d’A. Frances et après sa confession, il est logique d’imaginer que l’application de ces recommandations, en apparence de bon sens, loin de sauver la psychanalyse pourrait au contraire accélérer son déclin dans un mouvement de « self defeating ».
1 : Diffusée lors des journées d’Espace Analytique d’octobre 2014.
Lovely Rita : amour et différences du TDAH aux USA et en France
La revue de presse U.S. « United Symptoms » de Jean-Charles Troadec
«Les symptômes dans la civilisation sont d’abord à déchiffrer aux États-Unis d’Amérique» Éric Laurent et Jacques-Alain Miller, L’Autre qui n’existe pas et ses comités d’éthique.
Dans un article retentissant intitulé « Pourquoi les enfants français n’ont pas de trouble de l’hyperactivité »(1), publié dans Psychology Today en 2012, le Dr Marylin Wedge interrogeait : « Comment l’épidémie de TDAH – clairement établie aux USA – est-elle presque passée inaperçue en France ? » Très bonne question qui trouve sa réponse dans le dernier document de la Haute Autorité de Santé.
La cause de l’absence du Trouble défcit de l’attention avec ou sans hyperactivité (TDAH ou ADHD en anglais) en France est foue. La cause de l’épidémie aux USA n’est pas moins foue. Les médias repèrent simplement qu’à un moment donné les laboratoires pharmaceutiques se sont mis à promouvoir ce trouble via un marketing agressif destiné aux consommateurs et aux médecins. D’ailleurs, l’inventeur du sigle ADHD lui-même, le Dr Léon Eisenberg (1922-2009), a déclaré peu avant de mourir au magazine Der Spiegel : « L’ADHD est l’exemple même d’une maladie fabriquée »(2).
Sans expliquer le nombre peu élevé d’enfants étiquetés TDAH, les nouvelles recommandations de la Haute Autorité de Santé française présentent ce trouble comme une problématique de santé publique, sous-estimée en France. En introduction, la HAS nous invite à faire le constat qu’en 2011 une étude téléphonique « a estimé à 3,5% la prévalence du TDAH chez les enfants de 6 à 12 ans, et parmi eux 45,5 % présenteraient une dominante "trouble de l'attention", 35,9% une dominante "hyperactivité-impulsivité" et 17,6% présenteraient une combinaison des deux composantes»(3). Cette enquête téléphonique a été menée par le Dr Lecendreux, pédopsychiatre impliqué dans la recherche sur le TDAH. Tout s’origine donc de cette enquête en France, qui vient comme un cheveu sur la soupe.
La soupe aide-t-elle vraiment les enfants à grandir ?
L’association HyperSuper, qui fgure en tête de liste du « Préambule » et du « Contexte d’élaboration » des recommandations, fait partie des lobbies qui ont alerté la HAS sur la carence française. Sur son site internet, elle se félicite de la réalisation d’une étude sérieuse : « Pour la première fois, une étude épidémiologique a été proposée sur un échantillon représentatif de la population pédiatrique française. » Elle nous renseigne ensuite sur cette fameuse étude : effectuée « en décembre 2008 par la société IDDEM spécialisée dans les enquêtes téléphoniques (...). Les questions posées aux familles par les enquêteurs (le plus souvent la mère) étaient issues et adaptées de questionnaires validés tels que la Kiddie-SADS et du DSM IV-TR. Le diagnostic de TDAH était retenu lorsque les symptômes étaient clairement identifés, persistaient depuis six mois au moins et retentissaient de façon signifcative sur le fonctionnement de l’enfant ». C’est ça la clinique moderne ! Et l’on voit l’avantage du questionnaire qui se remplit par téléphone... Un enquêteur, un membre de la famille, le diagnostic est posé. Pas besoin de compétences professionnelles, pas besoin de l’enfant.
Reste que pour HyperSuper, on n’explique pas plus le faible nombre d’enfants atteints de TDAH. Ce n’est pourtant pas faute de prescrire : « Entre 2004 et 2009, le nombre de boîtes (de médicaments), tous dosages confondus, remboursées par la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés est passé de 171 274 à 274 186, soit une augmentation de 60 %. Et les chiffres ne risquent pas de féchir », avance Le Point dès 2011(4).
Le but de l’opération est de prouver que le TDAH est présent en France. D’ailleurs, le même procédé a fonctionné aux USA lorsqu’il fallait mettre au goût du jour ce nouveau trouble.
Il y a dix ans, le laboratoire Shire, le fabricant de l’Adderall, un concurrent de la Ritaline (Novartis), a été accusé de marketing agressif envers les enfants et, dernièrement, d’élargissement abusif aux adultes(5). Le nom du médicament contient en lui-même ce dont on le soupçonne : ADD (Attention Defcit Disorder) et le suffxe accrocheur « all ». « ADD for all » donnant Adderall. Shire a aussi été épinglé pour ses bandes dessinées à l’intention des enfants, ses études statistiques trompeuses, son audit sur l’absence de prise en charge, et la preuve de la non-dangerosité du méthylphénidate sur les enfants (amphétamine proche de la cocaïne qui est actuellement l’unique médication contre le TDAH) pour encourager la politique du « dans le doute, donnez-en, ce n’est pas méchant ».
Ainsi, l’apparition soudaine de ce nouveau trouble sous l’effet des actions de promotions des laboratoires pharmaceutiques a déjà conduit les Américains à sévir. Alors pourquoi la France encourage-t-elle le même phénomène ? C'est un mystère.
Libération prolongée
Le rapport de la HAS place le curseur sur la médicalisation du trouble. Une grande partie des recommandations s’attache aux protocoles médicamenteux. Surprise ! Les médicaments à libération prolongée empiètent sur la célèbre Ritaline. Nous voyons apparaître le Concerta LP (Janssen, Johnson and Johnson USA) et le Quasym LP (Shire USA), les deux étant de la méthylphénidate mais à libération prolongée.
L’observance du traitement est parfois un problème : les parents ajustent souvent les traitements administrés à leur enfant surtout lorsque les premiers effets secondaires apparaissent – la crise cardiaque référencée dans la notice a de quoi faire peur.
Les recommandations répondent à ce problème en plaçant le médecin généraliste au cœur de la prise en charge, autre point commun avec les USA. C’est à eux de prescrire le traitement, après une première rencontre avec un spécialiste (psychiatre, pédopsychiatre, pédiatre, neuropédiatre). D’ailleurs le titre complet des recommandations est clairement orienté vers eux : « Conduite à tenir en médecine de premier recours devant un enfant ou un adolescent susceptible d’avoir un trouble défcit de l’attention avec ou sans hyperactivité » ? Les généralistes américains sont les plus gros prescripteurs de psychotropes. Le message adressé dans nos deux pays est simple : la méthylphénidate est sans danger, et dans le doute devant un éventuel TDAH, vous ne pouvez pas en sous-estimer le bénéfce. Et lit-on encore dans le rapport de la HAS : « Il s’agit d’un traitement symptomatique et non curatif, qui est d’autant plus effcace qu’il est initié avant l’adolescence ».
Qu’est-ce que le Concerta LP et le Quasym LP ?
En 2005, les plaintes de consommateurs de l’amphétamine se multiplient aux USA. Symptômes psychotiques, pensées suicidaires, hallucinations, augmentation de la pression artérielle et même arrêts cardiaques sont recensés. La Food and Drug Administration (FDA) a d’abord réagi en informant les médecins et les consommateurs des dangers de la méthylphénidate. Les États-Unis ont un temps d’avance sur la France. Et, en 2008, la FDA est allée encore plus loin, rappelant à l’ordre le laboratoire Johnson and Johnson sur l’usage et la promotion du Concerta LP (qui présente une action sur 12 heures, pratique pour les enfants mangeant à la cantine). Elle indique dans son rapport que les arguments avancés par le laboratoire sur l’effcience de ce médicament sont « faux ou trompeurs parce qu’ils surestiment l’effcacité du Concerta et omettent des faits cliniques concernant la consommation de ce médicament »(6).
Les faits cliniques passés sous silence sont relatifs à la prise sur le long terme et aux retentissements sur la croissance, la prise de poids. La surestimation concerne le marketing envers les enfants et les adolescents pour qui le Concerta pourrait améliorer également les activités extra-scolaires comme le sport, les jobs d’été, les activités de loisir en général, voire « dans tous les domaines de la vie quotidienne ». La FDA conclut qu’il n’y a aucune preuve validée pour ces bénéfces avancés par le laboratoire qu’elle met en demeure de cesser ces « violations » dans son marketing.
Le Quasym LP, quant à lui, est un « ovni ». Le célèbre site internet américain Drugs « Know more. Be sure » n’indique rien sur ce produit, si ce n’est qu’il n’est disponible qu'en France. C’est étonnant. Il est pourtant fabriqué par le laboratoire américain Shire sous la forme « à Libération Prolongée » (LP) et il s’agit d’un dérivé de la méthylphénidate (methylphenidate hydrochloride). En France, nous disposons de très peu de renseignements. Rien dans la revue Prescrire. Rien dans la presse. Ni même sur le site du laboratoire, où apparaît simplement son autorisation par la HAS. Pourquoi est-il plébiscité en France par la HAS ? Mystère !
En page d’accueil de Shire, se trouve un slogan étrange qui mérite d’avoir ici le mot de la fn tant il éclaire ce qui se passe en France : « Les diagnostics ne doivent pas être rares ».
Notes:
1Wedge, M., « Why french kids don’t have ADHD », in Psychology Today, March 8 2012, disponible sur internet : https://www.psychologytoday.com/blog/suffer-the-children/201203/why-french-kids-dont-have-adhd
2 Diener, Y., « Les nouvelles maladies infantiles » in Charlie Hebdo n°1181, 11 mars 2015, p. 15.
3 Haute Autorité de Santé, « Conduite à tenir en médecine de premier recours devant un enfant ou un adolescent susceptible d’avoir un trouble défcit de l’attention avec ou sans hyperactivité », décembre 2014, disponible sur internet : http://www.has-sante.fr/portail/upload/docs/application/pdf/2015-02/tdah_recommandations.pdf 4Dos Santos G., « Enfants hyperactifs : gare à la pilule de l'obéissance. » Le Point. 29/04/2011 Disponible sur internet :http://www.lepoint.fr/sante/enfants-hyperactifs-gare-a-la-pilule-de-l-obeissance-29-04-2011-1324951_40.php
5.Troadec, J.-C., « Les adultes sont de grands enfants », in Lacan Quotidien n° 368. 6http://google2.fda.gov/searchq=Concerta&client=FDAgov&site=FDAgov&lr=&proxystylesheet=FDAgov&requiredfelds=-archive%3AYes&output=xml_no_dtd&getfelds=*
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